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Entretien exclusif de Yacine M’Bodj, Présidente de l'Association Jigeen Jef Suqaliku
FUTURE AFRIQUE ///
Mme Yacine M’Bodj, présidente de l’Association Jigeen Jef Suqaliku-Femmes Action Développement (FAD) est Enseignante à l’Ecole de santé de Sélibabi. Ayant profité de plusieurs formations en Mauritanie et dans de nombreux pays de la sous régional avec des organisations internationales.
Très connue dans le secteur sanitaire. Il s’agit d’une femme qui a beaucoup œuvré dans le social et l'associatif au profit des couches vulnérables.
Entretien…………
Future Afrique : A l’occasion des 16 jours d’activisme dans la lutte contre les violences faites aux femmes, votre association a organisé une conférence-débat sur lesdites violences. Quelles sont les violences auxquelles les femmes mauritaniennes sont-elles confrontées au quotidien ?
Yacine M’Bodj : En Mauritanie, le plus souvent les femmes sont confrontées à des violences physiques et morales. C’est-à-dire la femme est battue ou maltraitée par le mari. On constate aussi des viols et des séquestrations, entre autres, que la femme ou la fille subit. Et pour revenir au thème de notre activité, nous avons voulu être spécifiques en parlant des violences par rapport à l’autonomisation des femmes. Là, je veux dire qu’il y a des violences non dites qui sont constatés dans le milieu familial surtout quand la femme est autonome sur le plan financier.
Quelles contributions apporte votre organisation pour lutter contre ces violences ? Depuis quand Jigeen Jef Suqaliku-Femmes Action Développement (FAD) a-t-elle vu le jour ? Et dans quelles zones intervenez-vous ?
Jigeen Jef Suqaliku (Femme Action Développement) a vu le jour, il y a juste deux ans lors d’une cérémonie haute en couleur au palais des Congrès de Nouakchott. Elle intervient dans les trois wilayas de Nouakchott, à Nouadhibou et au Trarza plus précisément dans 23 villages du Walo. Il est prévu dans un futur proche, que des antennes soient ouvertes dans toutes les capitales régionales du pays. Je crois que le fait de parler des différents types de violences, écouter les victimes, les accompagner et les orienter sont des contributions essentielles. Comme vous le savez, avec l’éducation et la tradition, beaucoup de femmes et filles ne veulent pas parler des violences qu’elles subissent dans leurs foyers conjugaux de peur d’être jugées ou taxées par la société.
Les femmes se battent depuis quelques années pour l’adoption d’une loi contre les violences basées sur le genre. A votre avis, pourquoi l’adoption d’un tel texte traine-t-elle ?
L’adoption de la loi et des textes traine et va trainer davantage parce que nous vivons dans une société patriarcale. On estime qu’en parlant des violences faites aux femmes et aux filles, c’est l’homme qui est visé. Mais, nous les femmes nous allons continuer d’en parler à tous les niveaux et dans toutes les rencontres.
Il y a quelques jours, un viol pathétique s’est déroulé à Dar Naim sur une jeune fille. L’opinion a été très émue, les uns et les autres ont condamné et réclamé la punition sévère contre les auteurs. A votre avis, que doivent faire les pouvoirs publics pour arrêter cette spirale de violence contre les femmes qu’on enregistre régulièrement ?
C’est dommage que des faits graves se répètent à chaque fois chez nous. Malheureusement, une jeune fille a été violée dans le domicile de ses parents à Dar-Naim ; et quelques heures après dans le quartier N’Diourbel de Rosso, une jeune femme, sa mère et son fils ont été agressés à coups de couteau par un homme tard dans la nuit chez eux. On dit que les auteurs ou accusés sont arrêtés. L’arrestation seule ne suffit pas ! Comme tout le monde nous réclamons la mise en vigueur de la loi afin que des sanctions sévères contre les auteurs soient prises. Tant que la loi n’est pas appliquée, les femmes continueront à subir ce mal.
On parle d’autonomisation des jeunes et des femmes. Que signifient ces concepts pour votre organisation ?
Nous entendons par autonomisation des jeunes et des femmes, une liberté qui leur permet d’être autonomes financièrement et économiquement pour qu’ils puissent mettre en place des activités génératrices de revenus progressivement jusqu’à ce qu’ils soient épanouis.
Votre organisation a pris part en Côte d’Ivoire à la Journée Femmes de Talent. Pourquoi cette journée et quelle expérience en avez-vous tiré ?
Effectivement, nous avions pris part à la journée Femmes de Talent en Côte d’ivoire. Croyez-moi, c’était une rencontre intéressante et instructive. Nous avons découvert des femmes ivoiriennes très dynamiques, compétentes et engagées pour montrer des projets productifs. Il y avait des filles encadrées pour mettre en place des projets dans différents domaines, d’ailleurs, elles sont soutenues par des investisseurs. Les filles qui avaient réussi dans leurs projets ont été décorés et des promoteurs se sont engagés de les accompagner en attendant qu’elles puissent voler de leurs propres ailes.
Partant de l’expérience ivoirienne, je profite de l’occasion pour lancer un appel aux hommes d’affaires et investisseurs pour qu’ils soutiennent les jeunes dans les projets. Chez nous, il y a des talents qui méritent d’être appuyés financièrement. Permettez-moi, de dire que la journée Femmes Talent en Côte d’ivoire a été bénéfique pour nous.
Les organisations de la société civile manquent généralement de moyens pour travailler. Comment la vôtre réussit-elle à réaliser le travail sur le terrain ? Quels sont les partenaires qui vous soutiennent ?
Comme déjà dit plus haut, ça fait juste deux ans que FAD a vu le jour et depuis nous travaillons avec nos cotisations pour payer la location du siège, les factures eau et électricité, la sécurité et d’autres charges imprévues. Maintenant en ce qui concerne les activités et missions, il nous arrive envoyer des lettres de soutien à des bonnes volontés et à des hommes et cadres qui nous sont proches qui n’hésitent pas à réagir sitôt.
En effet, nous avons décidé de mettre en place un projet phare qui est de mettre en place une Mutuelle d’Epargne et de Crédits. Nous sommes à ce jour 1921 femmes et chacune a déjà mis en place une cotisation de 2000MRU pour le fonds de la mutuelle. A cette occasion, nous sommes en discussions avancées avec une banque de la place pour une question de partenariat et deux autres banques étrangères comptent se joindre à nous. Je rappelle que Jigeen Jef Suqaliku (Femme Action Développement) est ouvert à toutes mes sœurs et filles mauritaniennes pour le développement, l’émancipation et l’autonomisation de la femme.
Au lancement de nos activités, nous avons reçu des soutiens considérables de la part de l’Etat, pour citer la Banque Centrale de Mauritanie, le Ministère des finances et du côté du MASEF qui est notre département de tutelle nous attendons à un partenariat très prochainement. D’ailleurs, la Ministre de l’Action Sociale de l’Enfance de la Famille a été présente activement lors de notre activité de lancement et à celle du 07 décembre à l’hôtel AZALAI. Il est important de souligner que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a fait confiance à nous et cela grâce à notre engagement et notre existence sur le terrain. Il a décidé de nous recruter un consultant pour nous faire une étude de faisabilité à notre projet comme soutien. En effet, il a contribué à l’organisation de notre conférence-débat du 07 décembre dernier à Nouakchott.
Permettez-moi ici de remercier et féliciter notre Coach pour le travail remarquable et l’assistance incessante qu’il apporte toujours à la FAD depuis sa création.
Un mot !
Je crois que, d’une manière générale, les femmes sont des leaders cachés qui peuvent se définir à certaines occasions. La femme mauritanienne est naturellement leader. Ce sont toujours les femmes qui ont dirigé la vie de famille, mais de manière fine et discrète. De plus en plus, avec les mouvances de développement actuelles, leur leadership devient visible. Elles ont quand même besoin pour cela d’être soutenues car culturellement, elles ont été habituées à rester cachées. C’est important de leur faire comprendre que le monde a évolué, que les choses ont changé, que les hommes aussi ont changé, et qu’il faut donc qu’elles contribuent, qu’elles arrivent à montrer qui elles sont par le biais de l’autonomisation. C’est là, où, au niveau de FAD, nous essayons de leur donner un coup de pouce. Mais les moyens font encore défaut pour qu’on puisse atteindre nos nombreux objectifs.
Propos recueillis par Aboubakrine SIDI