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Champ libre par Tijane Bal
Tijane Bal - Encore une affaire de divagation d’animaux ! Mais pas aux conséquences identiques. L’histoire ne bégaie pas toujours. Dieu merci. Aucune limite étatique n’a été bafouée cette fois. La frontière franchie est plutôt intérieure et elle est tracée en nous.
Invisible mais si réelle, elle délimite depuis si longtemps et, faut-il le craindre, pour un bon moment encore. Une vidéo en guise d’illustration! Une femme que l’on entend plus qu’on ne la voit lance une sorte d’appel à témoins. Du spectacle révoltant de chameaux saccageant allègrement ses plants de cultures.
L’image est si expressive qu’elle se passerait de décryptage. A écouter les paroles prononcées on réalise que la scène ne doit pas être si inhabituelle. Peut-être cela ajoute-t-il au désarroi communicatif de la plaignante pour qui on se prend de compassion tant le panorama et les mots pour le décrire inspirent de l’empathie.
Plus que tout, la vidéo est une métaphore. Celle d’un état (au sens de situation) mais aussi d’un Etat qui, en la circonstance, apparaît cruellement buissonnier. Elle n’en a que d’autant plus de mérite à y croire encore, la brave dame. Pensez donc. Elle en appelle même à l’intercession de M. Ghazouani après avoir supplié les autorités locales.
C’est notre travail, notre sueur, notre vie de petites gens croit-elle devoir préciser. Quid de nous autres ? Les destinataires potentiels du message. On se pose les questions qui viennent spontanément à l’esprit de chacun dont celle-ci : à qui donc appartiennent ces chameaux prédateurs en toute impunité?
Que se cache-t-il derrière leur insouciante liberté de nuire à autrui? Insouciance surtout par contraste avec l’effroi de celle qui en est réduite à n’être que la spectatrice impuissante de son propre malheur? Pourquoi ce sentiment d’impunité et, plus encore, cette impunité réelle que l’on soupçonne?
Quelle pesanteur tétanise à ce point la victime au point de n’oser chasser les indésirables de ses terres? Elle nous l’explique en indiquant qu’un rien peut faire basculer les choses. Elle laisse entendre clairement qu’elle est condamnée à l’inaction par peur d’être transformée de victime en coupable.
D’où ce face à face dérisoire et figé. D’où les appels au secours désespérés qui, selon toute vraisemblance, resteront vains. Du moins on peut le craindre. Le tableau de chameaux en goguette écrasant tout sur leur passage, et d’abord le labeur des autres, met au jour une réalité dans toute sa nudité : une inégalité de statuts et un système d’assignation dont tout découle.
On notera que dans son long monologue, une seule fois et encore subrepticement, la victime évoque les responsables présumés : les propriétaires des animaux. Comme si, pour elle, l’essentiel n’est plus là. Pas dans le ressentiment à l’égard de ces puissants. Puissants au point de se sentir au-dessus des lois et de ne devoir de comptes qu’à eux-mêmes. Dans un Etat dit de droit !
Tijane Bal.