Il y’à longtemps, très longtemps, Caton l’ancien (234- 149 avant Jésus Christ paix sur lui !) terminait, au sénat romain, ses diatribes irrédentistes contre le rivage africain de la Méditerranée, mais aussi ses exposés sur la fiscalité des Patriciens ou sur les amas d’ordures sur le Palatin par un leitmotiv invariable: » Delenda Carthago« (« il faut détruire Carthage ».)

Au cours des « Guerres Puniques » les erreurs d’Hannibal et les succès des deux Scipion (1) exaucèrent, trois ans après sa mort, l’idée fixe de l’irascible censeur par la défaite de la fière rivale phénicienne de la cité de Romulus.

Plus de deux mille ans après, l’univers a changé, changé et changé. Il a notamment vécu le triomphe du christianisme, puis de l’Islam, le flux et reflux des croisés, la découverte de l’Amérique, des grandes inventions, de la pénicilline, de l’atome et d’IBM, la colonisation de l’Espace, l’apogée et la chute du communisme, la démocratisation de l’Afrique etc.

Mais on retourne pourtant à la case « départ », comme si la seule chose qui perdure réellement dans l’histoire est l’antagonisme Orient -Occident. Ainsi le « Delenda Baghdado » réalisé effectivement et que nous avons expérimenté il y’à plus d’un an n’est, apparemment, que l’avant-goût, d’un cycle de futures résolutions tronquées, de prétextes fallacieux et d’agressions indûment légalisées pour détruire Le Caire, Damas, Téhéran, Khartoum, Al Matta, Kano, Djakarta etc.

Telle semble être la logique des nouveaux barbares, les Croisés de ce vingtième siècle finissant. Après la gifle de Khafji, à la veille de l’offensive terrestre de la guerre du Golfe, le Général Schwarzkopft, chef de l’expédition punitive anti-irakienne rugissait en une de ses conférences de presse : « …The best is yet to come ! » Le prétorien pur et dur, produit accompli du »complexe militaro-industriel » (2), représentant authentique de la société « WASP » (3), sans aucun état d’âme, suant de tous ses pores, rose comme un cochon du Kentucky, teutonique (4) d’apparence, de nom et de ton, se remémorait, sans doute, la célèbre chanson de l’acteur à succès italo- américain Franck Sinatra.

Et depuis nous avons assisté, impuissants et traumatisés, à la destruction systématique des infrastructures de l’Irak, au massacre indiscriminé de ses populations, à l’imposition, à l’encontre de son peuple, d’un odieux blocus, à la légitimation d’un droit permanent d’ingérence dans ses affaires intérieures. Etc.

Il semble pourtant que « le pire est encore à venir » promis, n’est pas seulement ce crime monstrueux de guerre , ni cette loi de la jungle, ni la domestication de l’ONU par une seule super puissance et ses dociles « clients » asservissant un univers fragilisé, craintif, minable…

Comme les jésuites d’antan bénissant, au nom de la religion, rapines et extravagances de potentats, le Conseil de Sécurité est devenu un simple outil de complaisance, pour élaborer et voter « à l’africaine », la résolution adéquate, même s’il faut pour cela tordre le coup à l’esprit et à la lettre de la charte ou autoriser l’illicite, l’inadmissible, l’invraisemblable.

Ainsi va de cette scandaleuse résolution 731 du 21 janvier 1992 qui fait intervenir le Chapitre VII de la Charte (relatif aux sanctions globales et obligatoires et à la possibilité du recours à la force)et, contrairement à tout entendement, surtout aux us et coutumes, ordonne à un pays ( en l’occurrence la Jamahiriya) d’extrader vers un pays tiers ses propres nationaux.

Le prétexte fort opportun du Koweït n’existant pas on fabrique, à la hâte, avec des grosses ficelles, un autre tout fait : l’avion de la PANAM qui a explosé, suite à un sabotage en 1988, au dessus de l’Ecosse.

« Je suis tombé par terre …C’est la faute à Voltaire ;
Le nez dans le ruisseau… C’est la faute à Rousseau ! »

Devient :

« PANAM a explosé à Lockerbie …C’est la faute à la seule Libye ! »

S’il ne s’agissait d’une perfide machination aux conséquences difficiles à évaluer, le cours des choses se poursuivant tel que planifié par un Occident débridé et arrogant, la mascarade aurait été simplement risible. Mais…

La résolution 748/92 du 31 mars 1992 est venue nous réveiller en dévoilant combien la scène internationale est, aujourd’hui, galvaudée parce que dominée par un seul pôle!

L’ONU ? une maison close avec sa clique de machos triomphants, impudents, rompus à l’art consommé de la mauvaise foi, usant tantôt de l’amalgame, tantôt de l’intimidation, tantôt de la corruption ou, encore, de la pratique du chantage ouvert, public. Pire son organe dirigeant, le « vénérable » Conseil de Sécurité, chargé de « promouvoir paix et sécurité » pour tous (souligné par moi) s’est transformé en un instrument de satisfaction des desiderata et autres objectifs stratégiques d’une seule famille humaine.

Le Nouvel Ordre International ? Il apparaît, de plus en plus, comme un système unilatéral, injuste, nébuleux et inquiétant.

L’Occident ? Il était, naguère, champion du légalisme, du droit, de la logique, respectueux de ses engagements. Il s’est mué, aujourd’hui, en une coterie aux idées étroites, refusant toute crédibilité à la Cour Internationale de Justice, (pourtant sa création et hier encore partie de son système de régulation des rapports internationaux), reniant sa sacro-sainte liberté des échanges commerciaux, usant de scandaleuses pratiques du hold-up d’Etat contre les dépôts de pays qui ont eu, à tort, confiance en ses promesses et en ses institutions.

L’Occident ? Ses crimes »subtiles », insoupçonnables, ses gants blancs et ses accusations élaborées ont disparu victimes de sa haine pour la toute petite Libye. L’Occident est devenu un mafiosi, un gangster brutal aux motifs peu convaincants ; à l’argumentation décousue, aux piètres manières !

En effet, sur la seule foi de l’apparence, d’alibis spécieux, de témoignages douteux de témoins véreux, cet Occident se prépare, fièrement, à étrangler un peuple pacifique ( encore un autre !), parce que seulement ses dirigeants ont cessé de jouer au pitre, ont décidé de dépasser leur stérile infantilisme politique coutumier.

Le « crime » à punir serait donc la nouvelle disposition libyenne de gérer raisonnablement ses moyens pour la sécurisation d’un avenir meilleur pour son peuple. La volonté délibérée des auteurs de la résolution 748, vise, elle, à perpétuer la menace de Damoclès sur la Libye par des exigences qu’elle ne peut, en aucun cas satisfaire !

Et, autre paradoxe, c’est pour contenter l’appétit des masses vociférant dans l’arène ( comme au temps des César et des Scipion) électorale en demandant d’immoler des victimes ( barbares) que ce véritable gavage et cette précipitation ont été imposés au Conseil de Sécurité. En effet, il leur fallait « leur résolution » avant le Ier avril, à la veille de notre fête du sacrifice, notre plus sacrée fête, pour mieux nous humilier et satisfaire les objectifs électoralistes…

L’un des trois compères de la mascarade a subi un camouflet en réussissant le score de M. Le Pen à peine amélioré. L’autre complice attend un scrutin, avec anxiété pour le 7 avril, alors qu’il est présentement distancé par le parti rival dans tous les pronostics. Le troisième larron risque, lui, en novembre de se faire étaler par des amateurs en herbe… Alors, tous en difficulté cherchent à exorciser le diable même au prix de sacrifices humains !

C’est la terrible morale de cette coterie d’intégristes (Eh oui, il en existe aussi de l’autre côté de la « lime » !) méprisante et cynique. Le devoir à tous est, bien sûr, de s’opposer à ce branle – bas de combat qui interpelle la conscience de chacun de nous et menace aujourd’hui et demain notre liberté, notre conception de l’univers, notre choix civilisationnel, notre droit au progrès, notre droit à la différence aussi…

Mohamed Said Hamody


Notes

(1) SCIPION : famille rivale des Caton dans l’Antiquité romaine. Deux de ses membres Scipion « l’Africain » (235-183) et Scipion Emilien (185-129) ont joué un rôle déterminant dans la chute de CARTHAGE « l’Africaine ».

(2) « complexe militaro-industriel » condamné par Le Président américain D. Eisenhower en une adresse Célèbre de conseils à la fin de son mandat en 1960.

(3) WASP : acronyme de White Anglo-Saxons Protestants ( anglo-saxons protestants blancs) ancêtres des premiers colons Anglais en Amérique. Leurs descendants continuent de dominer a politique et l’économie.

(4) Teutonique : adjectif qui à trait à « teuton » qui se dit de l’ensemble de tous les peuples de l’ancienne Germanie.

Cet article a paru, en novembre 1992) dans l’hebdomadaire Mauritanie-Demain (aujourd’hui disparu)