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L’Indépendance, Vue de loin
Le 28 Novembre 1960 ? C’est une lapalissade peut-être que d’affirmer que ce fut pour moi un événement ! Evénement pour mes dix huit ans, l’âge de tous les espoirs, de toutes les émotions de ceux qui ne se lassent pas de faire et de défaire le monde !
Ce fut un événement aussi parce que je sentais, quoique de manière confuse, que nos habitudes, le pays, tout notre univers s’engageaient dans une voie nouvelle inconnue ; fascinante certes, mais terrifiante aussi ! Evénement surtout, parce que j’étais loin du pays, et, les échos qui m’en parvenaient, étaient inquiétants , peu réconfortants… !
C’etait à Paris, un triste Paris de fin d’automne, glacial. Je m’y suis rendu, deux jours auparavant, convoqué à partir du Sud de la France où j’étais pensionnaire d’un lycée privé à Nice.
En effet, notre toute récente représentation (située alors au 89 rue du cherche midi dans les locaux actuels du consulat) en France s’est proposée de réunir la cinquantaine d’étudiants et d’élèves mauritaniens en France pour participer, même à distance, à la proclamation de notre indépendance nationale.
Notre « proclamation » d’indépendance avait pour cadre le restaurant, brasserie et café dit « la Closerie des lilas » qui existe toujours. Arrivé avec un compagnon, une bonne quinzaine de minutes d’avance, j’attendais, avec une impatience teintée d’une sourde inquiétude, et d’appréhensions, le début du cérémonial.
Je disciplinais mal le vagabondage de mon esprit. J’avais, dans la matinée, exploré le lieu et les environs, en bon stratège avant la bataille, de peur de m’égarer le moment historique venu.
J’avais débouché, dans mes prospections du matin, au métro Port royal, juste en face de la closerie et remarqué, agressif, le tout neuf bâtiment du Copar (Centre des œuvres universitaires parisiens) qui se dressait sur le site de l’abbaye dite du Port Royal, sanctuaire de la secte des Jansénistes et du philosophe Pascal.
Couples de petits vieux
L’abbaye a été rasée au XVIIème siècle ou la fin du XVIème à la suite d’une campagne de haine d’intégristes d’une autre époque et d’une autre religion… J’avais repéré aussi la place Denfert Rochereau et les lions de Belfort. Personne ne se rappelle encore que ce colonel doit sa notoriété à la défense, en 1871, du territoire contre les armées de Prusse.
A droite de la closerie, au bout de l’Avenue du Maine (je crois) qui débouche sur le quartier Montparnasse avec ses cafés à l’architecture incongrue, ou plutôt démodée, où des couples de gentils petits vieux se mêlent, médusés et craintifs, à des « artistes » de tous genres. Enfin, juste au bas, une petite ruelle discrète mène à la fameuse école de la France d’Outre Mer, pépinière de générations d’administrateurs coloniaux.
Cette déviation mentale vers des événements et des problèmes éloignés des milieux immédiats m’ont permis de m’assoupir un peu, au moment où notre groupe tôt arrivé grossissait. Bientôt l’atmosphère se remplit d’un brouhaha de salamalecs et de claques de main (les embrassades sur les joues n’existaient pas encore entre les grandes personnes). Intimidé à mort au début, je commençais à reprendre mon souffle et mon courage.
Surtout parce que beaucoup de présents étaient d’anciennes connaissances du lycée Faidherbe (colonel Ahmed Salem Ould Sidi, alors cadet à Saint-Cyr, Diagana Dieïdy de l’ENS de la rue de l’ULM, Abd. El Aziz Ba, le futur procureur, aujourd’hui au Sénégal, Abdellahi Ould Mohamed Sidiya futur responsable de l’Oclalav, le Dr. N’Daw Waly, Athié Mohamed Nassirou, les frères Bal -Moustapha Mohamed El Habib et Mohamed El Bechir-,
Ou encore des connaissances pour raisons diverses comme : le futur Président Louly (alors à Saint – Cyr), les futurs ministres Mokhtar Ould Haïba ; Hamdi Ould Mouknass, Abd. El Aziz Ould Ahmed et Mohamed Ould Amar Ould M’bareck. Et aussi Ismail Ould Amar et Mohamed Lemine Ould Ahmed Limam (des anciens de la Medersah d’Atar), Amar Ould H’Meydha, Abderrahmane Ould Maouloud; et d’autres encore, comme ce représentant des travailleurs mauritaniens en France, perdu, hagard, plus intimidé et plus solitaire que moi…
L’heure « H »
Après un dîner copieux et succulent (je ne me rappelle pas le menu, mais il était bon) et des discours insipides et ennuyeux (prononcés par je ne sais plus qui), nous dûmes attendre une heure du matin pour nous mettre au diapason du fuseau horaire de Nouakchott. Alors à l’heure « H », retentit l’hymne national que nous écoutions pour la première fois. Puis les hauts parleurs diffusèrent la version originale de cet hymne, chanté et joué sur Tidinitt par Sidaty « Ila El Illahi Nassira… » poème composé en louange au Prophète par Babe Ould Cheikh Sidaty.
Le moment était solennel, d’une sobre dignité. A l’issue de l’audition l’émotion était visible sur tous les visages et perceptibles dans le profond silence qui suivit. Puis on distribua à la hâte les deux morceaux diffusés gravés sur microsillon, une brochure sur la Mauritanie, une médaille commémorative en bronze ou en cuivre et pour ceux qui venaient de province, une enveloppe contenant le remboursement des frais de transport et de séjour.
Dès la sortie, contrastant avec la chaude atmosphère à l’intérieur du restaurant, une neige précoce nous accueillit, couvrant d’un léger duvet blanc la chaussée et les trottoir. Et vers les deux heures du matin, une procession bizarre de jeunes et de moins jeunes, Maures, Pulaars et Soninkés, se dispersait aux quatre coins d’un Paris endormi, aux rues désertes. D’aucuns s’en allaient vers la cité universitaire du Boulevard Jourdan.
D’autres remontaient le Boulevard Saint Jacques vers le Val de Grâce et la maison de la FEANF au 13ème arrondissement. Notre groupe de provinciaux, dirigé par un inoubliable Ahmed Salem plein de verve et d’entrain et de Mahmoud Ould Louly (tout un peu plus calme malgré son pas martial), se rendait au pas de l’oie vers le Boulevard Raspail. Le plus jeune du groupe, notre narrateur, serrait un butin impatient de l’ouvrir, en faisant des fantasmes à la Perrette… Je me rappelle avoir dormi difficilement car l’enveloppe contenant le trésor était introuvable.
De quoi oublier l’anti- colonialisme, le panarabisme, l’Afrique et l’impérialisme. Au réveil, la découverte d’une poche intérieure de veste largement déchirée a permis de rétablir la sérénité et de retrouver les clés, le stylo et la précieuse enveloppe dans la doublure. L’enveloppe contenait quatre cents francs nouveaux (comme on disait à l’époque), une fortune. J’ai alors recommencé à réfléchir à l’aiguille qu’aucun africain ne pouvait fabriquer*, tout surpris en tout cas, ce 28 Novembre au matin, de noter que le soleil continue toujours de se lever à l’Est.
Souvenirs de Mohamed Said Ould Hamody
Lors de la campagne pour le referendum de Septembre de 1958, la propagande coloniale, relayée par les notables africains, utilisait cet argument pour convaincre les populations de voter pour le oui, et de refuser l’aventure de l’Indépendance. –NDLR-
L’Unité -Nouakchott-N°13, Dimanche 29 novembre 1992