21:54
Clin d’œil : Nous et les Autres
Nous sommes rentrés sur la pointe des pieds et nous nous sommes assis, mal à l’aise, au milieu d’une assemblée qui nous regarde du coin de l’œil. Nous ne sommes pas pourtant véritablement des étrangers, nous pouvons en toute légitimité nous proclamer fils des lieux, mais il y a en nous quelque chose qui effarouche et qui crée un rejet même irraisonné.
Nous sommes et nous resterons les autres, les bédouins, même si maintenant nous habitons les villes, portons parfois des costume modernes, conduisons des voitures rutilantes ou poussiéreuses, parlons des langues étrangères, fumons des cigarettes américaines et répétons à l’envie les concepts logomachiques des occidentaux bien –pensants.
Nous restons à leurs yeux ce que nous avons toujours été : des bédouins nomades, presque des pillards.
Pour les arabes, nous représentons un peu l’image de ce qu’ils ont été et qu’il ne veulent plus être, et aussi de ces hordes guerrières et faméliques qui apeuraient pendant des siècles les cités riches de l’Orient et du Maghreb, nous sommes avant tout des « Laarab » des « eroubbi » dess peuples des franges , des gueux , même s’ils avouent que nous parlons un arabe des plus purs et conservons beaucoup des traditions antiques de l’Arabie préislamique.
Mais l’essentiel est là : ils ne nous considèrent vraiment pas comme des leurs, même si beaucoup d’entre nous s’enthousiasment pour l‘arabisme et l’arabité et portent dans leurs cœurs les blessures des drames palestinien, irakien, ou syrien .Ils ne nous voient pas comme des leurs. Au Maghreb par exemple on ne pense pas toujours du bien des « sahraouis » de ces Arbi, qui refusent de s’assimiler et « qui ne respectent rien « dit le petit peuple.
Pour les africains au Sud du Sahara nous sommes certes acceptés parfois comme des Cheikhs soufis ou des érudits, mais nous représentons surtout la face la plus hideuse du passé : l’esclavagisme. Notre fierté dominatrice, ce complexe de supériorité hérités du nomadisme, même s’ il est insensé , irrite .Les « Nars » sont mal aimés voire haïs au Sud, le sentiment anti-maure et aussi anti-touareg s’exacerbe de plus en plus au Sénégal par exemple et au Mali .
Le meurtre fait de sang froid par des éléments de l’armée malienne de pacifiques « dou’att » mauritaniens et maliens n’est que la face cachée de ce sentiment que la presse et les « observateurs » refusent absolument de voir : le racisme anti-maure.
Pour l’essentiel nous nous cramponnons à un seul Etat, la Mauritanie, c’est le seul pays où nous nous imposons, parce que nous y sommes majoritaires et que nous y avons quoiqu’on dise, les rênes du pouvoir C’est vrai nous ne nous privons pas souvent de démontrer de temps en temps que nous sommes les premiers ici: c’est un peu dans notre nature , l’ ostentation.
Et malgré tous les discours officiels, toute l’idéologie de l’Etat, nous considérons bien que ce pays est d’abord celui des maures, que tout maure qu’il soit d’Algérie du Maroc du Mali ou du Tchad est d’ici parce qu’ici il y a ceux de sa tribu, et que le sentiment tribal crée chez nous la seule appartenance qui vaille. J’entends bien les cris scandalisés de certains : je ne fais qu’écrire noir sur blanc ce que certains veulent cacher sous des gribouillis multicolores.
Tout cela bien sûr n’est pas moderne, n’est pas politiquement correct, ne saurait se dire en dehors de nos cercles restreints… Mais il faudrait bien un jour qu’on se dévoile un peu, et qu’on fasse un peu voir de nos orgueils mais aussi de nos grandes frayeurs. Car nous regardons autour de nous et avons souvent peur.
Nous voyons l’affaire du Sahara refuser de se dénouer, et des milliers de nos frères toujours enfermés dans les camps de réfugiés prés de Tindouf, alors que tout autour on sent déjà se réveiller les odeurs de poudre, nous voyons le Nord Mali plonger dans l’aventure, et notre culture là-bas risquer de s’effondrer sous les coups de boutoir de l’islamisme radical ou de l’entrée en force de forces ouest-africaines.
Nous nous voyons nous même incapables de corriger les injustices du passé : ni les « harratines » ces anciens esclaves qui veulent être nos égaux, ni les « forgerons » ces rejetés qui veulent sortir de l’ombre ne trouvent véritablement grâce à nos yeux. Nous sommes entourés de questions et nous ne trouvons pas de réponses, nous ne cherchons même pas de réponses, nous sommes confiants : cela fait des siècles que personne ne nous aime et cela ne nous a pas fait toujours du tort.
Mais il faudrait bien un jour s’expliquer, regarder en face le réel, se poser de vraies questions, se remettre en cause enfin, et nous présenter devant les autres tels que nous sommes et tels que nous voudrions être ; un peuple cultivé ;, héritier de plusieurs civilisations, largement métissé donc et qui se devrait d’apprendre à dompter ses démons internes et à se faire accepter par les autres. Oui, c’est vrai, mais nos voisins du Nord et du Sud, devraient bien faire un effort eux aussi et comprendre enfin une réalité, définitive celle là: nous ne pourrons être les appendices ni des uns ni des autres.
Beyrouk