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La Mauritanie et l’Azawad. (VI)
VI – La légitimité historique
La Mauritanie ne s'émut pas outre mesure du sort des gens de l'Azawad. Modibo Keita, le Président Malien à l'époque, comprit qu'un gouvernement qui ne pose même pas une question à propos de ses congénères maltraités est simplement sans consistance. Lui-même se serait comporté autrement, à sa place.
Il en profita. Il convoqua Mokhtar O. Daddah à Khayes, en 1963, pour une conférence sur le tracé de la frontière, en fait une amputation substantielle de territoire.
A la conférence de Khayes, Modibo Keita posa d'emblée de jeu ses conditions irrévocables. La délégation mauritanienne tenta de discuter, de raisonner, d'expliquer, cela ajouta à l'énervement et à l'emportement du Président Malien.
Il quitta la salle suffocant de colère, non sans avoir, au préalable, tapé de toute son énergie sur la table, et affirmant qu'il ne reviendrait à la salle de réunion qu'une fois ses exigences satisfaites sans conditions et sans tergiversations.
La délégation de Mokhtar O. Daddah resta dans une situation bien incommode – c'est un euphémisme – et pratiquement inédite dans les annales des rapports entre Etats depuis Munich.
Les mauritaniens, pendant une journée, ne surent s'ils étaient prisonniers ou hôtes du gouvernement malien. Finalement – on ne sut sur l'initiative de qui – Modibo Keita revint à la table des ''négociations" et trouva que les mauritaniens distinguaient maintenant entre le jour et la nuit. Ils signèrent ce qu'on leur présenta. Il se traduisait par une perte de territoire au Hodh charghi d'au moins 80.000Km², au moins parce qu'on ne connait avec certitude qu'une seule donnée, la superficie de la Mauritanie au moment de l'Indépendance : 1.169.000Km².
La superficie après l'amputation de 1963 n'est pas vraiment connue. Tantôt c'est 1.080.000 tantôt 1.089.000, des fois 1.083.000 et un dictionnaire sérieux, datant de l'année 2000, fixe cette superficie à 1.031.000Km².
L'accord n'ayant jamais été soumis à référendum, comme stipulé dans les différentes constitutions successives, en cas de cession de territoire, ni même soumis à l'Assemblée Nationale, on sait seulement que la Mauritanie a perdu cette superficie approximative, ainsi que les puits du Dhar et les zones situées plus loin jusqu'à M'Zereb – éternisé par la poésie lui et ses palmiers – compris. Le puits de M’Zereb est au Sud de Cheggatt. Il était, ces dernières années, l’objet d’un litige entre les Ahel Nouh et les Touabirs. Belle illustration de son appartenance au Mali.
Mokhtar O. Daddah était à l'époque obnubilé par son différend avec le Maroc. Il était prêt à tout sacrifier, pour ne pas offrir un allié au Maroc et surtout pas le Mali qui a été allié de Mohamed V et qui le prendrait de revers, comme en 1960.
L'assassin de Abdallahi Ould Obeid était venu et reparti du Mali et Ahmedou O. Horma qui était le Chef politique du Jeich Tahrir, dans sa version réduite après l'opération Ecouvillon, partageait son temps entre Bamako et Rabat.
A l'époque, Modibo Keita jouissait de l'appui du Groupe de Casablanca, dont le Maroc était l'un des chefs de file. Après la mort de Mohamed V, les choses ont évolué dans un sens différent et le Maroc a pris la tangente, évoluant petit à petit dans un esprit et dans un cadre autre, voire opposé, au Groupe fondé en 1960.
Lorsque la guerre éclair entre l'Algérie et le Maroc pour la souveraineté de la région de Tindouf est intervenue en 1963, le Maroc n'était pratiquement plus compté au nombre des progressistes de l'Afrique et ceux –ci prirent cause et fait pour l'Algérie. Cette évolution allait faire l'affaire de Mokhtar O. Daddah. Nasser, Ben Bella, Sékou Touré, Kwamé N'Krumah et Modibo Keita décidaient d'établir des relations avec la Mauritanie. L'Egypte et l'Algérie envoyèrent, pour la première fois, des délégations ministérielles à Nouakchott en 1963 et bbbTouré invita Mokhtar Ould Daddah pour une visite officielle à Conakry la même année.
Modibo Keita établit ces relations officielles, mais les ressortit de ces revendications territoriales outrancières et injustifiées. L'annexion de territoires mauritaniens par le Mali se poursuivit encore, après Modibo Keita. Quand on cède une portion du territoire national, sous le chantage simple, sans raison, ça devient une pente. En 1970, les Maliens occupent Gougui Zemmal, dans la région du Hodh Al Gharbi.
L'Administrateur en poste à Aioun, Yahya O. Menkouss, demande des renforts et une intervention urgente. On lui fait savoir qu'il n'en est pas question et qu'il doit tempérer son ardeur. La population d'Aioun organise des manifestations de protestation et dénonce la trahison du Gouvernement. Yahya Ould Menkouss s'abstient de réprimer les manifestations. Il est relevé de ses fonctions, en Conseil des Ministres.
Cet expansionnisme improbable des Maliens et ce mépris des relations de bon voisinage était curieux. Raisonnablement, ce n'était pas une ''faim'' de territoires. - ils en avaient suffisamment - qui les torturait, mais probablement, une anticipation, une action doublement dissuasive visant à montrer aux populations de l'Azawad, si elles en doutaient encore, que la Mauritanie n'est rien et qu'elles ne peuvent rien en attendre et à la Mauritanie, elle –même, qu'elle avait intérêt à se tenir tranquille et à se contenter de ce qu'on veut bien lui laisser; si elle veut continuer à jouir de la ''salive de la paix'' et des bienfaits incalculables de la tranquillité.
Le message n'est pas tombé dans les oreilles de sourds, il fut décodé et compris, d'autant mieux que les affaires sérieuses de l'Etat ne concernaient, comme on le sait, que l'Unique (Chef de l'Etat). Le personnel supérieur de l'Etat était constitué d'exécutants dociles et prudents - craignant le sort de Yahya O. Menkouss - ou alors composant une espèce de confrérie des ''Rieurs'', comme du temps de l'Egypte des Ptolémée.
En ces temps antiques, le seul responsable qui sortait peut – être du lot et qui avait la personnalité et le courage d'exprimer ouvertement son point de vue, sur n'importe quel sujet, était Mohamed O. Cheikh O. Ahmed Mahmoud. Et c'est bien ce qui l'a perdu… Mais dans la dignité.
L'Etat d'infériorité où étaient tenus les responsables de l'Etat, considérés comme des mineurs politiques, prit fin, momentanément, avec Moustapha O. Mohamed Saleck. La cause principale de ce changement était que les gens étouffaient sous la chape du pouvoir personnel depuis 21 ans et voulaient autre chose. La seconde était que Moustapha, auquel ses ennemis attribuent plusieurs défauts, ne se considérait pas comme un demi – Dieu et bien qu'il eût cette formation militaire, décriée par certains, ne voulait pas, par nature, imposer quoique ce soit.
Enfin, la plupart des membres de son gouvernement ne se considéraient pas comme ses obligés et il est arrivé plus d'une fois, bien qu'il fût respecté, que le chef de l'Etat soit mis en minorité, en Conseil des Ministres, et que la décision, à la suite d'un vote formel, soit contraire à son point de vue. Il acceptait toujours de bonne grâce l'avis majoritaire.
Après les pendaisons des années 1960, la nuit est tombée sur l'Azawad, une nuit sans lendemain, sans rémission. Les militaires maliens reprirent leurs châtiments de vengeance, impunément, sans distinction. Les gens honorables, sans raison, étaient bastonnés et humiliés publiquement, pour rien, pour un mot, pour un soupçon ou parce que leur attitude simplement ne plaisait pas.
L'intimité des gens et des femmes de l'Azawad n’'était plus respectée et cela ajoutait à la douleur physique, une douleur morale supplémentaire insupportable. Les populations se retranchèrent dans l'isolement, dans la fuite vers plus d'éloignement dans la vie nomade et dans les étendues inhospitalières. Plutôt le dénuement que des pâturages où on risquait de rencontrer les soldats maliens. Elles avaient à leurs trousses l'épouvante et pour compagnon le désespoir.
L'Azawad était une zone de non droit et l'Etat Malien ne s'y manifestait que par l'injustice. Un citoyen Touareg disait : '' Moi, je préfère ignorer les lois qui nous concernent, car elles ne doivent pas être bonnes''.
Azawad. Les Maliens n'y pensent pas et les Azawadis ne le savent que trop. Un autre Touareg auquel on posait la question si l'Etat malien aide les populations de sa région, répond : '' l'Etat ne nous aide pas, mais tant qu'il ne nous tue pas, ça va !
Le déni de droit s'étend à tout, y comprise aux langues de l'Azawad. S'exprimer en public dans ces langues était considéré comme une injure à l'Etat. Après le départ de Modibo Keita, quant il n’y a plus de solidarité politique particulière entre l'Algérie et le Mali, les gens ont commencé à respirer, mais pas plus. Le système intérieur qui les concerne ne change pas. C'est une damnation.
Mais, dans ces chaudrons de l'injustice, quant tout a été réduit en cendres, que la vie a semblé définitivement anéantie, il reste toujours un résidu imperceptible qui éclate et fait mal aux bourreaux. C'est ainsi qu'éclate en 1990 une nouvelle rébellion dans l'Azawad, dirigée par Iyad Ag Ghali dont on parle beaucoup en ce moment. Son Front de libération de l'Azawad est constitué de Touaregs.
Les Arabes, à leur tour, constituent un autre front. Les militaires maliens s'acharnent de plus belle contre les civils paisibles désarmés. Pour la Mauritanie, Moaouiya O. Taya est attentif à leur situation, du point de vue humanitaire. C'est la première vague des Touaregs et des Berabichs démunis qui déferle sur la Mauritanie cherchant de petits emplois de bergers, de charretiers, de gardiens.
L'Algérie a intercédé pour une médiation et un accord a été signé par toutes les parties, en vertu duquel l'Azawad aurait une part dans l'économie, une participation dans l'Etat et serait moins rudement traité. Mais l’ostracisme était tenace. Après quelques années où alternent espoirs et déceptions, on constata la triste réalité : rien de nouveau, rien n'a changé, l'Azawad est maintenu dans son triste sort de toujours.
Iyad Ag Ghali lui-même fut affecté dans un poste secondaire dans une Ambassade du Mali au Golfe. Démoralisé et jeté dans un milieu aussi clos qu'un couvent de femmes sous Charles Quint, il ne pouvait rapporter de tout ce qu'il a entendu que l'extrémisme religieux, comme échappatoire à la déception et au malheur des siens.
Mais depuis, ce que les médias appellent les rébellions des Touaregs se font moins espacer et plus intenses. En 2006 éclate la rébellion de Hassan Fagaga, suivie, en 2007, de celle d’Ibrahim Ag Bahanga, enfin synthétisant le tout, celle du MNLA, en 2012.
Le MNLA semble avoir banni, dès le départ, le système primaire du leader charismatique et choisi la voie de la direction collégiale pour mener sa lutte. C'est la méthode suivie par les Algériens pour leur guerre d'Indépendance.
Les lacunes d'un mouvement qui fait ses premiers pas sur le terrain de la lutte armée dans un milieu pollué, doivent être nombreuses et plus nombreuses encore doivent être les difficultés imprévues et les entraves de toutes sortes qui émergent, spontanément, si l'on peut dire, de terre.
On doit leur reconnaitre jusqu’ici leur prudence salutaire et leur manque d'aventurisme. Si leur ligne stratégique est juste, pour la cause juste qu'ils défendent, leurs tactiques semblent piétiner par excès d'optimisme et, disent certains, par naïveté.
Quel degré de coopération avec les islamistes, au départ et quel genre de confiance – permettant de dévoiler certaines données _ et à quelles conditions, s'est établi avec eux pour occuper conjointement les villes, avec apparemment, un certain partage des responsabilités ?
Il était parfaitement juste de déterminer, au départ, l'ennemi principal et de rendre tout le reste accessoire et, au besoin, de s'allier avec les ennemis secondaires. Mais cela se fait après une analyse serrée de la situation concrète prévalente. Il arrive en effet qu’un ennemi secondaire soit mortel, tactiquement, dans ce cas on ne peut plus se prévaloir de tout mettre en œuvre contre l'ennemi principal ou stratégique.
L'ennemi secondaire prend, dans ces conditions, provisoirement, la place d'honneur qu’occupait l'ennemi principal, sans renoncer soi – même, dés la première occasion, à honorer ce dernier en lui restituant son trône d'ennemi stratégique qu'il n'aurait jamais dû cesser d'occuper.
L'ambivalence nouvelle d'Iyad Ghali, n'a pas été mesurée à sa juste valeur et n’a pas été concrètement, prise en considération. Sa notoriété passée de chef de la Rébellion de 1990, inscrite dans le cadre d'un profond culte des héros des rébellions successives, a empêché la nouvelle génération de distinguer sa nouvelle silhouette de chef islamiste. L'intéressé a dû jouer adroitement sur l'équivoque et le sentimentalisme a ainsi produit ses dégâts au niveau du MNLA.
Iyad Ghali a-t-il trahi la confiance placée en lui et les droits du peuple de l'Azawad ? A – t- il tourné le dos à la mémoire des martyrs et aux injustices subies et aux crimes commis à l'encontre de son peuple pendant 50ans ? A – t – il monnayé le malheur des femmes et des enfants de l'Azawad, contre quelques idées rétrogrades, assorties de quelques dollars du Golfe?.
Une autre lacune du MNLA ne laisse de troubler, celle – et personne ne pense a priori qu'elle est simple ou facile – de ne pouvoir coordonner intimement avec cet autre Front de l'Azawad, celui des Arabes, qui est lui aussi laïc. La question doit aussi être retournée au Front Arabe, tant il est vrai que la collaboration, a fortiori l'union, exige deux parties disposées, sinon on se retrouvera devant un nouveau mariage de Joha. Joha affirmait qu'il s'était marié avec une telle, mais l'autre partie n'était même pas informée. Les Arabes de l'Azawad ont, en tout cas, intérêt a prendre un pari sur l'avenir; l'attentisme ne distribuant des dividendes que par miracle.
Mais le MNLA, même affaibli provisoirement ou effectuant un retrait tactique, a cette force invincible que les autres n'ont pas: porter les aspirations d'un peuple, exprimées depuis plus d'un demi siècle. Il est l'héritier de beaucoup de martyrs et de gens qui se sont sacrifiés pour cette cause, dont la mémoire est vivace dans les campements et les villages. C'est une grande force morale et une légitimité historique incomparable.
A suivre...
Par Mohamed Yehdih O. Breideleil