15:35
La Mauritanie et l’Azawad. (IV)
IV – Le parti de la totalite.
Que le vote soit le résultat de la prudence, de l’intérêt, ou de la conviction, ou de tous ces facteurs, cela importe peu pour les urnes. Ce qui compte c’est le nombre ou le pourcentage, s’il recouvre la réalité. Or, au cours de ces élections, quelle que soit la nature des fraudes, elle n’affecterait pas le résultat global.
Vers la fin de la campagne présidentielle de 2003, le Directoire de campagne de Mohamed Khouna Ould Haidalla, évaluait ses chances à environ un tiers de l’électorat. Son score a été sérieusement minoré par son arrestation moins de 48 heures avant le scrutin.
La nouvelle de cette arrestation s’est propagée comme une traînée de poudre dans tout le pays et beaucoup de ses partisans ont estimé inutile de voter. De plus, comme il était alors le principal challenger de Moawiya, les efforts de l’Administration et de l’appareil politique officieux se sont concentrés contre lui, là où la fraude pouvait paraître passer inaperçue.
On a dit à l’époque que le pouvoir gouvernant souhaitait, s’il ne travaillait pas à, maintenir les trois candidats de l’opposition dans un score voisin médiocre et surtout que Mohamed Khouna Ould Haidalla ne fagocite pas la base des deux autres opposants et ne crée, ainsi, un torrent irréversible qui emporterait, dans son élan, non seulement des indécis mais des pans de l’électorat traditionnel de la majorité qui ne veulent pas - réaction classique - participer au suicide collectif, dans la mesure où le Pouvoir ne peut plus être sauvé du naufrage.
Même si l’on concède que Med Khouna Ould Haidalla avait obtenu dans les faits, par hypothèse, 33% et qu’on ajoute à cela le résultat des deux opposants qui n’ont pas été cette fois-là marqués, ni inquiétants pour le pouvoir, nous arriverons au total à 45%, puisque les deux candidats ont réuni, péniblement, environ 12%.
C’est cela les faits. Or, chez nous, les faits, s’ils ne confirment pas notre point de vue, ne constituent pas des preuves, ne sont pas convaincants, n’ont aucune pertinence. Il en est ainsi. Et il en restera ainsi, tant que le contenu et l’orientation de notre enseignement resteront dans la trajectoire amorcée en 1982-1984, lorsqu'on a supprimé des programmes ce qui pouvait permettre le développement de la faculté pensante et son fonctionnement. Nous n’avons pas encore intégré dans notre vie le comportement rationnel qui initie à cette entité remarquable : le fait.
Les dernières élections aussi, celles de 2009, n’ont pas été reconnues. Ceux qui les ont reconnues peuvent renoncer à cette reconnaissance, sans gêne, le moment opportun, au gré des humeurs, à tout moment, si le besoin s’en fait sentir. Les prochaines élections, de même, ne seront pas reconnues, quel que soit le vainqueur. Pourquoi seraient-elles reconnues ? Elles sont comme toutes les autres. Les gens n’accepteront que ce qui correspond à leur point de vue , à leurs sentiments, et que la démocratie aille au diable.
C’est une affaire qui tourne en rond, comme le chameau de Mint El Wenass.
Marcuse dit tenir de Freud cette remarque : la maladie du patient est, parfois, une réaction de protestation contre le monde malade dans lequel il vit. C’est peut-être aussi cela.
Telle est la réalité, prouvée et démontrée par l’expérience. Autrement dit personne n’est prêt à accepter le rôle ingrat d’opposant. Tout le monde veut gouverner en même temps, à l’issu des mêmes élections.
Si nous poussons la logique à son terme et que nous en tirions les conclusions qui s’imposent, la situation optimale, voulue et acceptable pour tous, quoi que non exprimée, est que la gouvernance du pays doit être partagée entre tous les protagonistes, non pas provisoirement en vue, ou pour préparer, d’autres élections, en attendant un mouvement de bascule, comme dans les démocraties habituelles, mais définitivement pour toujours. Pourquoi pas ? Si nous ne trouvons notre équilibre que dans cette originalité c’est qu’elle correspond à notre stade d’évolution réel et qu’elle est la normalité.
On peut d’ailleurs s’aider de certaines périodes récentes pour confirmer cette nostalgie du parti unique de fait. Dans le premier semestre de 2009, en 2008, en 2007 pour un laps de temps, et en 2005 plus ou moins lorsque le Gouvernement était divers, la situation paraissait acceptable, non pas pour l’opinion, non pas pour le travail gouvernemental, non pas pour la sécurité du pays, non pas pour la solution des problèmes quotidiens des citoyens, mais pour la classe politique.
Quelques groupes n’avaient pas eu la chance de participer à ces moments d’union, mais ils n’ont pas fait de bruit exagéré, soient qu’ils attendaient leur tour sagement, soient qu’ils étaient les zèbres rares cornus qu’on cherchait : les vrais démocrates qui acceptent leur sort stoïquement et – si le mot existe – citoyennement.
En s’orientant vers le gouvernement de l’unanimité on est guetté par la perspective hallucinante qui s’est ouverte devant Med Khouna Ould Haidalla, lorsqu’il s’est porté candidat à la Présidence en 2003.
La méthode suivie, pour ratisser large et donner des espoirs à tous, était que le candidat signe avec tous les partis, groupes, courants, sensibilités qui veulent le soutenir, une convention, au terme de laquelle les soutenants acceptent le programme du candidat et travaillent de concert avec tous les autres, sous les mêmes slogans de campagne et le candidat, en retour, s’engage à les faire participer à la gestion du pays, après la victoire, c'est-à-dire les représenterait au gouvernement.
Le Directoire de campagne recevait, au préalable, ceux qui veulent soutenir le candidat pour préparer le texte de l’accord afin d’éviter tout ce qui peut faire naître une gêne ou constituer une source d’embarras pour le candidat, au cours de la campagne ou plus tard, lorsqu’on se saisira des rênes du pouvoir.
Ce travail en apparence si simple fut une véritable corvée, comparable aux sept travaux d’Hercule, pour le Directoire de campagne. Les intéressés, particulièrement motivés alors mobilisèrent leurs dernières ressources de tact, de persuasion, de perspicacité, leur ultime grain d’intelligence pour regrouper ce beau monde, - dont il faut taire la diversité - non sans avoir, à plusieurs reprises, avalé des couleuvres aussi amères qu’un gâteau de coloquinte et aussi nauséabondes que le cadavre d’un chien.
On en était arrivé à une bonne trentaine d’entités autonomes. Il manquait à ce bouquet les nationalistes arabes d’obédience nassérienne et ç’eut été une sérieuse lacune. Le Directoire de campagne, toujours prévenant, est entré dès le départ en contact avec certains de leurs éléments. Il fallut plusieurs semaines pour que se clarifie leur position : leur tronc principal décide de continuer à soutenir Moawiya Ould Taya et un millier de leurs membres optèrent en définitive pour le soutien de Mohamed Khouna Ould Haidalla. La chose n’était pas acquise d’avance.
Au cours des répressions successives qui jalonnèrent son règne, entre 1979 et 1984, le tour des nassériens – on ne sut jamais pourquoi – arriva en 1984. la violence a été telle que deux ou trois militants trouvèrent la mort sous la torture. Il n’était pas facile pour eux d’oublier la mémoire de leurs amis qui se sont sacrifiés pour la cause qui les unit et de tourner la page. Cependant, la présence aux côtés de Mohamed Khouna Ould Haidalla d’éléments qui avaient subi les rigueurs des différents Comités Militaires, encouragea cette minorité consistante, d’un millier de cadres, à se décider.
Au moment où tout était prêt pour la signature, les conseillers spéciaux du Candidat – c’est différent du Directoire de campagne – annoncèrent que le candidat – Président ne pouvait pas signer d’accord avec les nassériens. Il y eut une réunion commune des conseillers spéciaux et du Directoire sous la présidence du Candidat lui-même et on y annonça que les partis, tendances, groupes et sensibilités devant participer au futur gouvernement, étaient déjà une trentaine, en vertu des conventions déjà signées, auxquels il faut ajouter les personnalités présentes et d’autres cadres et personnalités qui devraient en principe se rallier en cas de 2ième tour.
Il faut donc chercher le gouvernement aux alentours de 50 membres. On ne pouvait donc plus augmenter le nombre, d'autant plus que les perspectives laissent clairement entrevoir qu'un gouvernement, quelle que soit sa pléthore, qui ne comporterait pas 4 ou 5 Premiers Ministres ne serait convenable d'aucune manière. Dans le contexte d’aujourd’hui et dans un éventuel esprit consensuel intégral, 50 seraient seulement un comité interministériel ad hoc.
On se retrouverait ainsi, d’une certaine façon, dans la situation de Saint Georges dont la tradition chrétienne dit qu’il avait demandé à Dieu de l’aider à monter à cheval, et qui a dépassé de l’autre côté.
Ce parti vers lequel les cœurs et les esprits semblent pencher irrésistiblement pourrait d’ailleurs conserver tous les noms, sigles et acronymes antérieurs et accepter tous les ultérieurs. De quoi se gêne-t-on ? Les programmes sont les mêmes. L’éventail des options c’est singulièrement rétréci et décoloré au cours des vingt dernières années, à notre insu. Il n’y a plus de gauche, ni à plus forte raison d’extrême gauche. On dirait même que la droite réactionnaire et obscurantiste est en train de tempérer ses ardeurs et de limiter ses excès.
Si le monde c’est l’apparence de quelque chose qui se trouve derrière le rideau de l’expérience immédiate, alors, selon les termes de Hegel, ce qu’il y a derrière le rideau, c’est nous même.
Avant de passer aux problèmes préoccupants de l’Azawad, gratifions, comme première contribution, l’invraisemblable parti d’un nom de baptême. Il pourrait avantageusement se targuer d’un nom qui est en lui-même un hommage : le Parti de la Totalité.