04-07-2025 09:12 - Mali: après ses attaques, le Jnim décrète le blocus des villes de Kayes et Nioro

RFI AFRIQUE -
Au Mali, le Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (Jnim, lié à al-Qaïda) a annoncé mercredi 2 juillet au soir l'instauration de blocus dans les villes dans lesquelles les habitants sont accusés d'avoir collaboré avec l'armée malienne.
Cela après la série d'attaques coordonnées de mardi, le long des frontières sénégalaise et mauritanienne. Dans ses messages audios, le groupe jihadiste cite nommément les villes de Kayes et Nioro du Sahel.
Une mesure qui, si elle est mise en œuvre, pourrait avoir de graves conséquences pour ces villes et pour tout le pays. Les autorités de transition n'ont pas réagi à cette annonce, mais appellent les populations à travailler avec l'armée.
Dans des messages audios diffusés en peul et en bambara, le Jnim reproche aux habitants de Kayes et de Nioro du Sahel, principalement, d'avoir aidé l'armée malienne à mener des arrestations. Le groupe jihadiste avait à plusieurs reprises, par le passé, appelé les populations à ne pas collaborer avec l'armée. En représailles, le Jnim annonce le blocage de toutes les routes qui desservent ces villes et les relient au Sénégal, à la Mauritanie ou à la capitale Bamako. Les jihadistes menacent également de tuer les hommes qui tomberaient entre leurs mains.
Nombreuses arrestations
Des témoignages locaux recueillis par RFI font état de nombreuses arrestations, que certaines sources qualifient d'arbitraires. Dès mardi, juste après l'attaque du Jnim, des groupes d'habitants étaient descendus dans les rues de Kayes pour accompagner les militaires lors des opérations de ratissage. L'armée n'a pas communiqué sur le nombre de personnes arrêtées. Selon plusieurs sources locales, les interpellations se poursuivent.
Après les attaques très meurtrières du Jnim à Bamako, en septembre dernier, l'armée avait déjà sollicité l'aide des populations. Mais, devant l'ampleur des dénonciations calomnieuses sur des bases ethniques — les Peuls étaient particulièrement ciblés -, le chef d'État-major général des armées avait personnellement appelé à éviter les « amalgames ».
« Signaler tout fait suspect aux forces armées »
Les autorités maliennes de transition n'ont pas réagi à l'annonce du blocus jihadiste à Kayes et à Nioro. Mais dans un communiqué gouvernemental diffusé mercredi, elles demandent aux populations de « signaler tout fait suspect aux forces armées ».
Le gouvernement de transition note également « l'utilisation accrue de drones kamikazes », accuse les « médias internationaux » d'être « complices du terrorisme », et évoque pour la première fois les « militaires » et « civils » « décédés lors des attaques terroristes » de mardi. En indiquant prier pour le repos de leur âme, sans toutefois en préciser le nombre.
Approvisionnement, de Kayes à Bamako
Le Jnim n'a indiqué aucune date pour le début des blocus à Kayes et Nioro, induisant que la mesure sera rapidement effective. Si les jihadistes parviennent à l'appliquer, les conséquences de cette punition collective pourraient être très importantes, dans les villes concernées - plus de 193 000 habitants à Kayes, plus de trois millions dans la région — mais aussi à Bamako et dans le reste du pays.
En jeu : les déplacements des populations, mais aussi leur approvisionnement et, plus globalement, les échanges commerciaux entre le Mali, le Sénégal et la Mauritanie.
Kayes se trouve sur l'axe reliant le port de Dakar à la capitale malienne, emprunté quotidiennement par des centaines de camions de marchandises. Reste à voir dans quelle mesure le Jnim sera en capacité de le mettre en œuvre, et dans quelle mesure l'armée malienne pourra l'en empêcher.
Le Jnim a régulièrement recours aux embargos dans les villes dont les habitants sont accusés de proximité avec l'armée ou dans les localités refusant de se soumettre à des accords locaux.
Farabougou, Tombouctou, Boni, Diafarabé : de nombreuses villes ont été ou sont toujours soumises à ces restrictions de circulation, notamment dans le nord et dans le centre du pays. Mais c'est la première fois que les jihadistes entendent imposer un embargo sur une ville aussi importante que Kayes.
Dans des communiqués distincts, le Jnim revendique « plusieurs dizaines de soldats maliens tués et un capturé » lors des attaques simultanées de mardi matin. Bamako assure de son côté avoir mené des ripostes victorieuses et « neutralisé plus de 80 terroristes ». Le Jnim revendique enfin une nouvelle attaque mardi soir près de Ber, dans la région de Tombouctou, au cours de laquelle une dizaine de combattants russes de l'Africa corps auraient été tués.
« Les jihadistes pensent être en mesure de se projeter, l'armée se prépare aussi », selon le chercheur Boubacar Ba
Boubacar Ba est le directeur, à Bamako, du Centre d’analyse sur la gouvernance et la sécurité au Sahel (CAGS). Il revient sur les dernières attaques simultanées du Jnim et la riposte de l’armée.
« Les combattants du Jnim, à travers sa Katiba Macina, ont développé une stratégie de dissimulation, d'infiltration et de secret. Ils ont occupé des zones qui jouxtent ces grandes villes, Kayes et Nioro. Ils sont en nombre, ils ont pu cerner la zone depuis des années, et aujourd'hui ils pensent qu'ils sont en mesure de se projeter. Ils peuvent en tous cas mener des actions spontanées. S'ils tentent de bloquer les routes, d'attaquer des commerçants, des forains, des passagers, ils peuvent faire des dégâts.
Maintenant, l'armée malienne est en train de se préparer aussi. Il appartient à l'armée de voir la dimension du renseignement dans cette zone, et de voir comment, à travers ses drones et ses moyens aériens, empêcher ces mouvements (des jihadistes, NDLR). La difficulté, c'est que ces zones ne sont pas plates. Il y a des arbustes, ce sont des zones-refuges, donc les jihadistes ont des possibilités de dissimulation dans des forêts, dans des buissons. Ils peuvent mener des actions dangereuses pour la sécurité et la quiétude des populations dans cette zone.
Bien sûr, lorsqu'ils annoncent qu'ils vont faire des blocus, ça crée la psychose parmi la population. »
Par :
David Baché