12-05-2025 21:10 - “Marges de vérité”: La couleur du débat…

“Marges de vérité”: La couleur du débat…

La Dépêche - Dans Politologie ou politique ? Samba Thiam s’attaque frontalement à une tendance contemporaine à la neutralisation du débat racial dans le champ politique mauritanien.

En réponse à un article publié sur Cridem, il déconstruit ce qu’il perçoit comme un discours d’effacement des logiques identitaires sous couvert de rationalité citoyenne. Son texte, dense, vigoureux et frontal, appelle à être lu comme une déclaration de résistance contre la dépolitisation du réel.

Samba Thiam rappelle que les lectures identitaires ne tombent pas du ciel : elles sont les produits réactifs d’un système d’exclusion, d’invisibilisation et d’assimilation. En cela, son texte remet les causes au centre, là où ses contradicteurs semblent se focaliser uniquement sur les effets — la dénonciation, la colère, le repli. Il inverse le soupçon : ce ne sont pas les victimes qui créent la fracture, mais un État qui la rend structurelle.

En dénonçant les appels à “changer de paradigme” au nom d’un discours rationnel, Thiam montre que cette prétendue objectivité n’est souvent qu’une manière de reconduire la domination sous une forme acceptable. Il démasque l’illusion d’un discours qui prétend élever le débat mais qui, en réalité, refuse de nommer les rapports de force, les héritages historiques et les discriminations systémiques.

Là où certains réduisent les nominations de cadres négro-africains ou haratines à des tactiques sans portée réelle, Thiam réhabilite leur dimension symbolique dans l’économie politique des affects. Il rappelle, avec Tocqueville, que la quête d’égalité, même imparfaite, peut mobiliser les énergies politiques, bien plus qu’un programme froid ou une gestion administrative.

À l’époque du silence prudent et de la tiédeur intellectuelle, Thiam choisit l’engagement. Il en appelle au courage, à la parole nue, à la confrontation du réel. Il refuse les compromis langagiers et fustige les intellectuels qui “rasent les murs”, dans un passage puissant.

Samba Thiam attribue à son contradicteur des intentions politiques cachées — “cagoule”, “écran de fumée”, “M.D.I repenti ?” — ce qui affaiblit la force rationnelle de son propos. En insinuant une duplicité sans preuve tangible, il se prive de la hauteur argumentative qu’il revendique par ailleurs.

En rejetant presque entièrement l’idée qu’un changement de paradigme puisse coexister avec des revendications identitaires, Thiam semble construire une opposition trop rigide entre “les racialistes” et “les technocrates du silence”. Or, dans la complexité du champ politique mauritanien, il existe sans doute des voix hybrides, critiques du système sans tomber dans l’obsession identitaire ni dans la langue de bois institutionnelle. Cette complexité est insuffisamment explorée.

Si la critique du “prisme sectoriel” est pertinente, elle aurait gagné à être accompagnée d’une esquisse de stratégie politique structurée. En dénonçant les symboles creux sans proposer d’agenda transformationnel, Samba Thiam laisse une brèche : comment articuler, dans un cadre concret, mémoire historique, luttes identitaires, et projet de société commun ? Le diagnostic est fort, mais la thérapeutique reste en creux.

Le ton, parfois cassant, peut donner à lire une posture d’assiégé : tout contradicteur devient suspect, toute tentative de dépassement devient compromission. Or, dans une société fragmentée, il faut non seulement nommer les lignes de fracture, mais aussi construire des ponts narratifs. Le texte laisse peu de place au dialogue, et beaucoup à la dénonciation. C’est sa force militante, mais aussi sa faiblesse stratégique.

Le texte de Samba Thiam est salutaire dans ce qu’il défend : la légitimité des blessures, le refus de l’oubli, et la nécessité d’une parole affranchie des convenances. Il participe d’une politique de la mémoire qui refuse le déni institutionnel. Mais pour construire une politique du possible, cette mémoire devra tôt ou tard se combiner avec une vision fédératrice.

Entre dénonciation du réel et production de sens commun, il y a un équilibre difficile. Samba Thiam en incarne aujourd’hui la part irréductible, la voix qui refuse de composer. À d’autres, peut-être, de reprendre cette voix pour l’inscrire dans un projet plus large et plus inclusif.

Chronique de Mohamed Ould Echriv Echriv




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