22-05-2013 15:30 - Société: « Féodalisme » dans le Fouta : Ni tabou, ni occulté !

Société: « Féodalisme » dans le Fouta : Ni tabou, ni occulté !

On peut se réveiller au crépuscule si l’on veut, mais croire que le jour commence à son réveil est une erreur!

Je suis tout à fait au navré de la campagne de certains milieux en Mauritanie consistant à fustiger le Fouta pour son prétendu « féodalisme »1 , mot qui n’a d’ailleurs aucune signification dans notre société. Peut-être qu’on veut parler du système des castes?

Notre drame aussi c’est d’être obligé d’utiliser des langues étrangères car nous sommes analphabètes dans nos propres langues! Un esclavage mental2 qui devrait aussi avoir ses combattants. A mon très humble avis…

Il y a beaucoup de gens qui se réveillent aujourd’hui croyant que le système de castes est tabou au Fouta. En fait c’est un débat qui est dépassé car c’était à l’ordre du jour pendant les années 70! Toute la jeunesse du Fouta a commencé à remettre en questions le manque d’égalité entre les castes et surtout le sort réservé aux Maccuɓe3 a été dénoncé de manière ferme.

D’ailleurs toute cette nouvelle idéologie égalitaire a émergé dans les mouvements de jeunesse qui ont commencé à sensibiliser les masses notamment dans des pièces de théâtre, de la poésie et des chansons. Qui n’a pas entendu le fameux hymne « Yontii ummaade, yonta am ummo-ɗee, ñemmben adinooɓe, haɓetenooɓe sabu bone kalfiigu »4 , sur un air de « Eerooy eeraade5 « ?

Au début ce n’était qu’un slogan, mais l’action de la jeunesse pour sensibiliser, dénoncer devenait de plus en plus populaire dans les villages du Fouta. Mieux, comme la jeunesse est aussi la force du travail dans nos contrées, les anciens ont commencé à apporter leur soutien à ce mouvement naissant notamment en permettant aux jeunes filles de jouer dans des pièces de théâtre, en publique, ce qui était relativement impensable auparavant.

Le mouvement s’est amplifié avec la diversification des activités culturelles, mais aussi sportives. C’est l’époque où tous les villages se réunissaient pour créer un championnat afin d’organiser des rencontres de football l’après-midi et surtout une rencontre théâtrale le soir sur les thèmes les plus chers à cette jeunesse: le Macungaagu6 , le statut de la femme et l’apprentissage du Pulaar.

Le Macungaagu (état de servitude) est dénoncé par le célèbre slogan « dimo alaa, diimaajo woodaani, ndimaagu neɗɗo ko golle e balle »7. Ces quelques mots étaient dans leur essence une quasi constitution anti-esclavagiste en ce qu’ils déclarent sans ambiguïté que la noblesse c’est seulement par les bienfait qu’on l’obtient. C’est une manière directe et poignante de dire aux dominateurs que leur position est usurpée car les règles du jeu « golle e balle » ne sont pas respectées!

Mais la jeunesse ne s’arrête pas aux mots. Elle passe à l’action en organisant la vie du village autour de cette force qu’est le « yontannde »8 . Désormais, il est interdit aux Maccube de revendiquer certaines tâches dans les cérémonies comme servir, égorger ou découper le mouton ou même faire la cuisine!

Au début cela a crée une vive émotion dans les milieux MaccuÉ“e car c’est une source de revenus qui disparaît, mais aussi pour les MaccuÉ“e, leur rñole dans la société allait s’en trouver dévalorisé. Mais la jeunesse n’en a cure. De plus les AwluÉ“e9 sont priés de rester discrets et de venir en tant que simples invités et d’ailleurs une amende est prévue pour toute personne qui donnerait de l’argent à un gawlo en dehors des « kinÉ—e »10 .

Des tensions ont été notées ça-et-là entre Maccube et mouvements de jeunesse, accusés de vouloir saper les traditions de ces familles entières qui affirment avec fierté leur appartenance à mouvance Gallunke! Mais la force de conviction de la jeunesse, qui puisait sa puissance dans la réalisation de différentes actions en faveur du bien être des villages va finir par prendre le dessus.

Il devient extrêmement hasardeux d’aller à l’encontre des idées de cette jeunesse qui, par un simple appel, pouvait faire échouer la construction d’un dispensaire ou le « coulage » d’un bâtiment en dur car elle seule a la force de fournir les bras nécessaires pour mener à bien ce genre de travail en un temps record. Je me rappelle aussi des fameux « ɗoftal » pour labourer les champs d’un chef de famille qui était soit âgé ou malade.

Un appel est lancé la veille pour aller « accompagner » untel. Le lendemain matin, une horde de jeunes se rencontre derrière le village et s’ébranle en chantant vers les champs! En mois d’une heure, le champs est labouré dans la liesse et la bonne humeur. Souvent, on se garde bien d’alerter la personne qu’on allait aider pour éviter qu’il se sente dans l’obligation de préparer un toufam (zrig local), voire un repas.

Qui pouvait défier cette jeunesse anti-esclavagiste et pro égalitaire à l’époque? Personne! Le statut de la femme devient une préoccupation centrale dans ce mouvement. Encore une fois, c’est le chant et les pièces de théâtre que la jeunesse trouve la meilleur forme de sensibilisation. « Suka debbo, puccu seeri e gubbal, humanee tinaani, seeree tinaani »11 devient un des slogans les plus populaires. C’est une dénonciation sans ambigüité du sort réservé à la femme: mariage forcé, répudiations abusives, excision.

La plupart des chansons tournaient autour de la fierté d’être fille et l’hommage rendu à la maman. « Suka debbo ummo daro »12 . Nous croyons en toi et sans toi rien n’est possible disait-on parfois dans les chansons. Mais aussi, on appelait les parents à libérer les filles et à favoriser leur entrée dans le système scolaire au lieu d’en faire de futures assistées à la merci des hommes peu scrupuleux.

Pendant des années, les mouvements de jeunesse se multiplient dans le Fouta. Les rencontres inter-villages13 ont favorisé l’émergence d’autres mouvements et la jeunesse devient la force incontournable dans tout le Fouta.

Parallèlement à cette transformation de la société prônée et imposée par la jeunesse, l’apprentissage de la langue Pulaar est devenu la mode. Il y avait seulement quelques années qu’on nous vantait l’école, ses instruits et sa langue française, symbole de progrès et de savoir. Mais il a fallu d’ailleurs combattre les sceptiques qui éclataient de rire rien qu’à l’idée d’apprendre le Pulaar! Ceux se demandaient « mais pourquoi apprendre le Pulaar? » ont eu cette réponse cinglante de Ibrahima Moctar Sarr14 dans son fameux « Hol ko janngi Pulaar »15 .

Ibrahima Moctar Sarr a joué un rôle crucial dans ce mouvement par la force des mots que la jeunesse puisait dans sa poésie. « Alla rokkunoo-mi ɗemngal »… Dieu m’a donné une langue… Pulaar kay ko ɗemngal… Si, le Pulaar « est » une langue16 ! Alors où sont ceux qui nous faisaientt croire que cette langue est vouée à la disparition, qu’elle ne sert ni à véhiculer le savoir, ni à gérer les avoirs!

Que dire aussi de l’incontournable apport du plus grand évangeliste Pulaar de l’histoire, Murtuɗo Joop? Décidément, les mots peuvent avoir une puissance, une force qui inspire et qui pousse au changement. C’est pour cela que le Pulaar a fait un bon spectaculaire tant sur la plan de sa codification scientifique que son taux d’alphabétisation.

L’intérêt du Pulaar dans ce mouvement était double, voire triple. Apprendre pour tous! Personne ne pouvait être marginalisé car tout le monde peut apprendre quel que soit son origine dans la stratification sociale. D’ailleurs c’est ce qui prévaut jusqu’à présent dans les associations Pulaarophones. Mais aussi, les femmes ont trouvé dans le Pulaar un moyen formidable d’émancipation intellectuelle qui les mettait au même niveau que les hommes. Nous avons encore encore des preuves vivantes du succès de ces femmes que l’on considère aujourd’hui comme des modèles.

Mais l’intérêt ultime que la jeunesse trouvait dans le Pulaar est tout simplement de montrer que notre société peut évoluer en étant enraciné dans son milieu, dans sa langue et son mode de pensée. Notre société peut évoluer d’elle même sans importer d’idéologies étrangères, fussent-elles évoluées.

Elle peut surtout évoluer en privilégiant l’instruction, la recherche du savoir et la sauvegarde de son patrimoine par le développement de la langue, sans laquelle aucun développement n’est possible. Le ndimlaagu17 passe du golle e balle au ngenniyaÅ‹kaagal, c’est à dire à la maîtrise de la langue.

Si Ibrahima Moctar Sarr a eu plus de succès dans les années 70 que tous les poètes qui écrivaient en français, langue qui excercait une écrasante domination à l’époque, c’est justement à cause de la présence de cette jeunesse qui mettait le Fouta avant tout, la langue avant tout. La langue pour tous sans discrimination, le sport pour tous sans distinction de caste, le statut pour toutes les femmes, sans distinction, voilà ce que la jeunesse de cette époque a initié.

Aujourd’hui, au moment où la langue Pulaar est entrée dans l’ère numérique avec le développement de logiciels18 , la sortie prochaine de Smartphones en Pulaar19 , le système d’exploitation Linux en préparation, si l’on ne parle pas beaucoup du problème des castes, c’est tout simplement parce que le Fouta a déjà fait sa révolution dans ce domaine. On est tout simplement passé à autre chose, à la vitesse supérieure, la vitesse numérique. Ce n’est pas un hasard si la langue Pulaar a connu cette percée dans les moeurs, les mentalités. Une certaine idée de l’égalité de la solidarité et du respect de l’autre est passé par là.

Si maintenant il y a des arriérés qui se sentent supérieurs eux autres, ce n’est pas le problème du Fouta, c’est le problème des arriérés. Pourquoi doit-on toujours prendre comme référence les mauvais pour juger le Fouta? Il y en a partout des attardés mais de grâce arrêtons de les prendre comme les représentants d’une société car ils ne le sont pas! Et Dieu sait que je ne suis pas trop bavard mais je me sentais le devoir de recadrer un débat qui devenait vide et trop peu basé sur les faits.

Ibrahima Malal Sarr

Président du Groupe Pulaagu (http://www.pulaagu.com)

Notes:

1-Mot souvent utilisé dans un contexte totalement différent de son origine. On remarque d’ailleurs l’absence de ce mot dans le vocabulaire des languages africaines! Je vous renvoie sur une discussion intéressante initiée par Kaaw Touré, porte parole des FLAM qui se demandait à juste titre ce que voulait bien signifier ce mot barbare. [↩]

2-Bob Marley nous invitait dans les années 80 de nous « émanciper de l’esclavage mental » [↩]

3-Anciens esclaves ou descendants notamment [↩]

4-Il est temps de te lever, ma jeunesse lève-toi, imitons nos anciens qui se sont battus contre la fléau de l’eclavage. [↩]

5-Chanson populaire du Fouta [↩]

6-Esclavage, servitude [↩]

7-Il n’y a pas de noble, il n’y a pas de moins noble, la noblesse, c’est les bonnes actions. [↩]

8-Jeunesse [↩]

9-Griots [↩]

10-somme donnée à chaque caste en guise de cadeau par la famille qui organise [↩]

11-La femme, victime d’injustice, mariée sans son accord, divorcée sans son accord. – Groupe Rénovation de Ndioum [↩]

12-Jeune femme, lève-toi et prends ton destin en main [↩]

13-Notamment sans tenir compte de la frontière car tous les villages des deux rives pouvaient participer [↩]

14-Homme pilitique et poète mauritanien, président du parti AJD/MR [↩]

15-Mais pourquoi diable apprendre le Pulaar? [↩]

16-Relayé par la voie de Baaba Maal plus tard [↩]

17-« Noblesse » [↩]

18-Claviers, navigateurs, traitement de texte [↩]

19-Firefox OS, le système d’exploitation de Mozilla pour Smartphones [↩]



Commentaires : 6
Lus : 3474

Postez un commentaire

Charte des commentaires

A lire avant de commenter! Quelques dispositions pour rendre les débats passionnants sur Cridem :

Commentez pour enrichir : Le but des commentaires est d'instaurer des échanges enrichissants à partir des articles publiés sur Cridem.

Respectez vos interlocuteurs : Pour assurer des débats de qualité, un maître-mot: le respect des participants. Donnez à chacun le droit d'être en désaccord avec vous. Appuyez vos réponses sur des faits et des arguments, non sur des invectives.

Contenus illicites : Le contenu des commentaires ne doit pas contrevenir aux lois et réglementations en vigueur. Sont notamment illicites les propos racistes ou antisémites, diffamatoires ou injurieux, divulguant des informations relatives à la vie privée d'une personne, utilisant des oeuvres protégées par les droits d'auteur (textes, photos, vidéos...).

Cridem se réserve le droit de ne pas valider tout commentaire susceptible de contrevenir à la loi, ainsi que tout commentaire hors-sujet, promotionnel ou grossier. Merci pour votre participation à Cridem!

Les commentaires et propos sont la propriété de leur(s) auteur(s) et n'engagent que leur avis, opinion et responsabilité.

Identification

Pour poster un commentaire il faut être membre .

Si vous avez déjà un accès membre .
Veuillez vous identifier sur la page d'accueil en haut à droite dans la partie IDENTIFICATION ou bien Cliquez ICI .

Vous n'êtes pas membre . Vous pouvez vous enregistrer gratuitement en Cliquant ICI .

En étant membre vous accèderez à TOUS les espaces de CRIDEM sans aucune restriction .

Commentaires (6)

  • moyiize (H) 24/05/2013 21:04 X

    thiapalo2013
    Tu aurais pu lire le texte quand même un peu au lieu de t'arrêter sur la photo.

  • hasnie (H) 23/05/2013 11:24 X

    Ces petites faiblesses humaines, ces complexes inextricables,dénotent d'une pauvreté d'esprit, qui n'a pas encore dit son nom. Sinon comment concevoir qu'un individu équilibré, et connaissant de surcroit les limites humaines, puisse se croire un instant supérieur aux autres. Car cette verticalité supposée dans les rapports humains, n'est qu'une sordide manœuvre, utiliséee par certains esprits saugrenus, afin de pouvoir exploiter d'autres!

    quant au fouta ,certains ignares, ont à une époque pris l'islam en otage, un islam d'ailleurs qu'ils ignoraient, et l'ont interprété à leur manière, en vue d'assouvir les tristes desseins qui étaient liés à leur propre nature perverse et mesquine.

  • planification (H) 22/05/2013 22:48 X

    Il n'existe pas de noble chez les créatures de Dieu, on est tous esclave de dieu, comment un esclave peut prétendre avoir un esclave si lui-même est un esclave. On est pas des voitures pour être immatriculé, il n’est mentionné dans la figure de personne qu’il est esclave ou noble dés sa naissance, le plus noble d’entre nous est celui qui est immortel, qui donne la vie ou la retire à qui il veut, qui ne tombe pas malade, qui ne chue pas, qui ne pette pas etc.

    Vous allez certainement me dire que cet être vivant n’existe pas, seul Allah est noble, donc au final on est tous des esclaves de d’Allah.

    Gare aux gens qui se prétendent noble s en réduisant, en discriminant, en asservissant ou en exploitant son prochain par le faite qu’il soit pauvre, faible ou ignorant.

    Quelque soit le rang que tu prétends, la richesse ou le savoir que tu as, ton dernier demeure reste sous la terre. Tous ce que Dieu te demandera c’est qu’est ce que tu as fait pour moi pour mériter le paradis.

    A votre avis quelle réponse faut il pour rentrer dans le paradis.

  • YEHESS (H) 22/05/2013 17:02 X

    Eh bien chaque communauté s’insurge (par sa féodalité) à l’idée de dénoncer les injustices dans son système sociétal. Mais il y a tout de même « une vérité absolue », comme le soleil s’élève de l’Est pour se coucher à l’Ouest, l’enfer c’est les autres. Et les autres ce n’est pas nous. C’est qui alors? Bof évidemment c’est les Maurs.

    Deux représentants de deux de nos communautés ont déjà agi ainsi. C’est quand notre tour?

  • Ksaleh (H) 22/05/2013 16:41 X

    Félicitations monsieur Sarr, je suis complètement sous le charme de cet article, où, je vois défilé mes propres efforts dans la lutte contre ces comportements abjects.

    Nous sommes loin des sorties foireuses des pauvres esprits, qui sans études approfondies comme vous le faites, se mettent à raconter du n'importe quoi !

    Par exemple la sortie la semaine dernière de Mr Seck responsable de la jeunesse de l'AJMDR. Je lui disais que que comparaison n'est pas raison et voici la preuve.

  • thiapalo2013 (F) 22/05/2013 16:34 X

    Cher Mr,
    ne pensez vs pas qu'avec votre costume et vos lunettes fumées vous etes la première victime de "l'esclavage mentale" comme vs le dites ds votre texte? C'est peut être pertinent ce que vous dites et il faut le verser ds le débat. Mais de là à dire que ce phénomène n'est pas tabou ou occulté ne me semble pas vrai.

    Je penses qu'il ft avoir le courage de reconnaitre les faits et de dire on doit faire plus encore.... La féodalité au fouta est une réalité blessante. Mr Ibrahima Sarr dt vs citez le cas n'a-t-il pas connu des misères, quand il a osé épousé une femme qui est de caste "supérieur" excusez moi le mot!!!! Je crains que vs soyez loin de la réalité de votre Fouta.

    Merci qd même pour la contribution même si je partage pas votre avis.