11-12-2012 01:13 - Temoignage historique : Lettre ouverte au Président François Mitterrand (Suite et fin)

Monsieur le Président, L’Irak n’est pas le Panama et le monde arabe ne ressemble en rien à l’Amérique centrale. Tempérez les ardeurs de vos » amis « et, surtout, les prétentions exagérées d’hommes qui divisent l’humanité en deux catégories :
les Anglo-saxons et les singes ! Il est vrai que vous n’avez aucune influence réelle sur la conduite de ce conflit, son déclenchement ou sa fin, et, encore moins, sur ses objectifs. Comme le Qatar ou Hosni Moubarek vous avez signé un protocole confiant au général Schwarzkopf le droit, après Dieu, de disposer des vies et corps de milliers de français venus mourir en Arabie en une querelle sans motif….
Cependant, et quelle que puisse être l’issue de cette terrible guerre, elle aura, au moins, le grand mérite d’avoir démasqué la face hideuse de l’impérialisme anglo-saxon et de ceux qui sont à sa traîne !
Elle permettra, également, de mettre l’univers entier en garde contre » le nouvel ordre international » que ces anglo-saxons désirent ériger pour assurer leur domination après l’écroulement de l’Empire Soviétique.Alors que nous nous félicitions de l’effondrement du communisme, pour sa tendance morbide à l’étouffement de toute liberté, voilà que nous regrettons déjà l’inexistence de ce second pôle qui, apparemment, équilibrait les relations internationales et limitait, en tout cas, les débordements débridés de l’arrogance anglo-saxonne dont le monde arabo – musulman est aujourd’hui la victime et qui, demain, mettra au pas votre Europe !
Monsieur le Président,
Eh oui ! Parce que, comme nous, vous savez combien le prétendu Nouvel Ordre International ressemble à un « Nouvel Ordre américain ».
Et sur un autre plan cette guerre nous fait découvrir que le »Saddam », que nous n’avons pas toujours soutenu ni aimé, est un des nôtres et que « la correction » que vous raffolez de lui infliger, à Allah ne plaise, ne sanctionne ni »l’anti-démocrate », ni « l’occupation du Kowëit ! »
Le seul et véritable crime qui justifie à vos yeux ou plutôt à ceux de vos « alliés » anglo-saxons, qui sont les seuls responsables de la gestion de cette crise du golfe, est « … cette ambition de l’Irak à prétendre devenir une force régionale capable de faire entendre une voix arabe indépendante …» de l’Occident. Mais le plus grand mérite du fils de Tekrit aux yeux de deux cents millions d’arabes est cette volonté d’affirmer à la face du monde le refus des arabes de s’humilier, de plier genoux devant qui que ce soit !
Et, juste retour des choses, cette guerre a fait comprendre combien les prétendues démocraties occidentales peuvent cultiver, subitement et étonnamment, intolérance et répression !
Monsieur le Président,
Les démons de l’enfer, réprimant tout droit à la différence et à l’opinion dissidente, sont lâchés dans les grandes métropoles qui donnaient, à tours de bras, des leçons de démocratie et de respect des droits de l’Homme.
Le juriste, que vous êtes, appréciera l’Angleterre, terre de l’habeas corpus, où des centaines d’Irakiens, réfugiés à Londres, depuis des dizaines d’années et anti-Saddamistes notoires, sont éloignés par délit de faciès et d’origine, alors que des jeunes étudiants irakiens, hôtes du pays, sont enfermés dans des quasi camps d’internement sans jugement.
Le socio -démocrate, que vous êtes devenu, appréciera la véritable chasse aux sorcières engagée aux Etats-Unis contre des arabes américains ( tout comme le calvaire des japonais américains des années de braise 1941-1945) rappelant les moments les plus hideux du maccarthysme des années cinquante ! La discrimination dans la citadelle de la libre entreprise s’étend aux compagnies aériennes qui refusent de transporter « par patriotisme » des arabes et notamment les Irakiens.
En Israël, où rien ne peut être inventé de bien original en matière de déni de droits de l’Homme, quand cet homme est un arabe musulman ou chrétien, c’est la cabale juive qui est mise à contribution. Toutes les archives sont littéralement dévorées pour trouver le nom de la mère de Saddam et, semble –t-il, pouvoir le tuer à distance par une formule magique de quelque rabbin intégriste…
Dans votre beau pays, et à l’instar d’une vulgaire dictature du Tiers Monde, les bandes audio et les films vidéo à l’éloge du Président Saddam Husseïn sont recherchées, confisquées et détruites par les soins de services très officiels… Les éloignements d’Arabes se multiplient à vos postes -frontières. Et à ce jour trois journaux arabes : « Koul el arab » qui paraît à Paris, « El arab » et « Destour« , tous deux londoniens, sont interdits à la vente sur l’Hexagone.
Nous ne reconnaissons plus la France. Pas sa presse qui, plus encore que la presse anglo-américaine, oublie toute réserve, toute déontologie en usant et abusant d’une terminologie, aussi éculée que ridicule, comme » le voleur de Bagdad », » le dictateur sanguinaire » et autres partie pris partisans ! Pas son président qui n’a cessé de déborder M. Bush sur sa droite en éclatant en ressentiments contre le peuple Irakien et la nation arabe qui n’ont pour la France que de l’amitié et du respect !
Vous ne gagnerez en échange de votre présente aventure guerrière que l’attachement bien éphémère de quelques supplétifs ( Al Sabbah , Al Nihyane, Al Séoud, Al Thani etc.), car l’ensemble des peuples et des élites, depuis le Golfe jusqu’à nos rivages, s’identifie avec l’homme qui vous défie, en notre nom, avec une assurance extraordinaire, confiance qu’il tire de la force réelle, profonde, naturelle de son peuple Irakien et de sa nation arabe !
Monsieur le Président,
Le pari que vous avez fait est un pari perdu d’avance. Vous affronterez un million d soldats qui défendent leur civilisation, leur dignité, leur patrie et le « dictateur » qu’ils se sont choisi ou avec lequel, désormais, ils s’identifient.
Ils feront payer un prix fort, intolérable à tout envahisseur ! Vous agressez un peuple des plus vieux, des plus prestigieux, qui promulguait des législations quinze siècles avant l’arrivée en Gaule des légions de César et avec elles, la civilisation gréco-romaine ! Vous détruisez un pays qui ne sait fléchir et qui, au cours de sa longue, très longue, histoire à vu passer plus d’une armée de barbares, plus d’une armée de dévastation !
Sitôt cette guerre finie, ses fils reconstruiront patiemment, courageusement ce qui a été détruit par vos soins et l’Irak redeviendra ce qu’il ne cessera jamais d’être : une puissance régionale forte, fière et » dominatrice » !
Vous avez défié un monde arabo -musulman qui a droit à sa différence, à sa culture spécifique, à sa dignité et qui sait assumer le martyr avec un bonheur que vous ne pouvez imaginer, encore moins imiter. Vous et vos »alliés » anglo-saxons avez montré la limite de votre puissance et sonné le glas aujourd’hui, ou demain, de votre influence en terres arabes.
Comme une autre expédition, celle de Suez, qui a mis un terme définitivement aux présences anglaise et française dans le monde arabe et a déclenché l’effondrement des derniers pans de leurs empires coloniaux, cette présente expédition au Golfe a permis aux peuples de dire, pointant un doigt accusateur vers l’impérialisme américain : » il est tout nu » !
Monsieur, le Président,
De grâce, évitez une nudité qui sied si mal à la dignité de votre Excellence et au prestige de la France. Si vous ne consentiez à peser de votre poids du côté de ceux qui veulent, et tout de suite, arrêter ce carnage, cet inqualifiable génocide à l’encontre du peuple Irakien, vous assumerez une redoutable responsabilité, risquerez une sordide nudité et verserez un prix fort élevé ! Pas en dollars américains en livres sterling ou en francs, ce prix ! Les dynasties Al Séoud et Al Sabah y pourvoient avec ce pauvre Japon ( il mérite bien ce qualificatif) et l’Allemagne malheureusement si facilement » taillable et corvéable à merci » !
Et, en prime, l’Homme, François Mitterrand risque bien de rejoindre tous les interventionnistes de ce siècle : les Guy Mollet, Anthony Eden, L. B. Johnson etc. qui ont quitté le pouvoir amers en leurs âme, décriés par leurs peuples, honnis par les peuples agressés !
Pourtant vous sortiez du rang. Vous élargissiez même le cercle de vos admirateurs et une belle statue, en perspective, se dessinait dans l’imaginaire de ceux que vous avez pu laborieusement convaincre! Pas par votre charisme, mais par votre culture et votre remarquable habilité ! Par votre entêtement aussi et un humanisme que nous supposions non affecté, non frelaté !
La France de de Gaulle et de Pompidou, que vous avez su, malgré tout, ramener sur son piédestal après le minable intermède » Giscard », perdra dans cette guerre ce que l’Angleterre a perdu en la guerre de Suez. Vous perdrez surtout l’amitié de ce Maghreb qui a été pour vous une terre d’expansion et qui reste pour votre pays terre de relations fructueuses, humaines, culturelles et économiques.
Au sein de l’Europe unifiée, où l’Allemagne, en plus de son écrasante puissance, de son poids spécifique, trouve en l’Europe centrale, cette Mittel Europa, son aire naturelle d’expansion, vous aviez l’espoir de conserver une place privilégiée chez nous. Or pour notre Maghreb cette guerre est d’abord celle de la France contre le monde arabe et l’Islam. Bien sûr, derrière se profilent l’Amérique, ses appendicites britannique et australienne et leurs clients. Mais l’Amérique et ses excroissances sont si éloignées de nos cœurs, si étrangers à nos sentiments que nous oublions d’avoir pour eux quelque ressentiment. Il en est tout autrement de la France. Et vous en assumez, M. le Président la globalité de la responsabilité.
Fort heureusement de nombreuses organisations françaises, depuis l’extrême droite jusqu’à l’extrême gauche, ont fait entendre une voix française dissidente du chorus des faucons paradant dans la foulée de votre auguste excellence !
Ainsi ces nombreux français, de l’extrême droite à l’extrême gauche, et quels que soient leurs sentiments d’aujourd’hui et leurs positions antérieures, aident à préserver une partie de l’immense capital d’intérêts et d’affection que la France détient, et entretenait avec discernement par le passé récent, dans le monde arabo- musulman et, singulièrement dans notre Maghreb arabe ! Nous distinguons parmi cette anti-France (comme diraient les fascistes), attachée, pourtant à la France réelle, celle qui privilégie la justice, l’indépendance, la fidélité et les libertés.
Ainsi nous citerons les anciens ministres : Chévénement, Cheysson, Couve de Murville, Déniau, Jobert, Giraud, Pisani etc. ; les professeurs Jacques Berque, Roger Garaudy, Théodore Monod, Maxime Rodinson etc. ; les écrivains Régis Debray, Max Gallo, Gilles Perrault etc. ; les avocats Gisèle Halimi, Jacques Vergès etc. et tous ceux, parmi le collectif des » 75? que nous n’avons cités !
Mention spéciale pour les »verts » qui, la veille de cette guerre, prophétisaient déjà sur les terribles dévastations écologiques du conflit pour les oiseaux, la faune, la flore et les hommes, la qualité de leur vie, leur santé et les vestiges de leurs incomparables civilisations d’hier !
Mention spéciale aussi, pour un journal, » l’Humanité », que nous a accompagné tout au long de notre longue marche de combats, depuis l’expédition de Suez à celle du Golfe.
Mention spéciale, encore, pour ces douze députés de votre groupe socialiste qu’une procédure d’exclusion tend à sanctionner pour leur honorable opposition à votre guerre.
Mention spéciale toujours, pour le sursaut de conscience de cette vraie »France des Libertés » que nous avons appris à connaître, à aimer et, mieux encore, à respecter !
A cette » certaine idée de la France » que de Gaulle berçait depuis sa plus tendre enfance, idée que renforcera sans cesse son opposition aux prétentions hégémoniques anglo-saxonnes sur son pays, l’Europe et le monde. Il est vrai que le tendre et progressiste prétorien avait, lui, des états d’âme ! Vous, Monsieur le Président, vous n’en disposez pas pour cette guerre du Golfe, et pour bien d’autres choses, de l’avis même de vos plus fanatiques laudateurs !
Monsieur, le Président,
Quittez la vallée de la Mésopotamie et ses marais trompeurs qui ont englouti, avant vous, tant d’envahisseurs…Ne réveillez pas les mânes d’Hammourabi, d’Assourbanipal, de Nabuchodonosor et des centaines de millions de babyloniens, Assyriens, Chaldéens, Manathire, Sassanides, Abbassides etc. qui dorment paisiblement, sur cette terre bénie des dieux ! Respectez le berceau d’Ibrahim el Khalil d’Ur, l’ami de Dieu et le précurseur des trois grandes religions sémitiques révélées ! Evitez de briser l’arche, autres pyramide et icônes du Mitterrandisme et ramenez aux femmes de France leurs fils, frères, maris et pères, sains et saufs !
Autrement, avec l’aide d’Allah, la patrie de Haroun Er-Rachid, de Salah Eddine Al Ayoubi et de Saddam Husseïn, qui ne connaît pas le mot » capitulation » dans son langage, servira d’immense tombeau aux croisés du XX° siècle…
Ambassadeur Mohamed Said Hamody dit Cheïkh Dah Ould Dahah.