24-10-2012 19:26 - Tribu dans tous ses états et démocratie (2).

Tribu dans tous ses états et démocratie (2).

Abordant maintenant notre sous-thème, je préfère répondre à la seule interrogation par une série d’autres ! Posons-nous d’abord la question de savoir de quel pouvoir il s’agit ? Est-ce le pouvoir politique temporel traditionnel, celui des notabilités (Emirs, chefs généraux, chefs de tribu, de canton ou de clan etc.) et qui continue d’exister malgré son énorme perte d’influence et de prestige, malgré aussi la législation qui le supprime par » extinction » , les congrès du PPM, les professions et déclarations des nouveaux partis et les éditoriaux de l’AMI ?

Sans en être le chantre, disons pour la justice que nous n’avons pas encore enterré celui là : le traditionnel ! L’exposé écrit de la Mauritanie à la Cour Internationale de Justice (CIJ) à la Haye, en 1975, sur la « question du Sahara Occidental » et pour accréditer la personnalité juridique de « l’Ensemble mauritanien » ou « chinguittien » a été obligé de mettre en exergue la singularité de notre conception de l’Etat.

Notre argutie historique et juridique affirme : « …Certes il y eut dans cet ensemble de vastes confédérations de tribus et d’Emirats étendant très loin, au-delà de leurs frontières, leur influence qui participait ici de la vassalité, là de l’alliance… »

Nos « cousins » sahraouis, après avoir « cloué au pilori » la » ghabila » comme élément » passéiste », » rétrograde » et » minant l’unité nationale » ont été bien obligés de la déterrer avec le » fakhedh (ou fraction) » en plus, à la faveur du recensement en vue du référendum, car il était un élément incontournable d’identification.

Tous nos partis politiques de l’ » ère démocratique » condamnent avec véhémence le « tribalisme et ses tares… » et jurent , la main sur le cœur, que ce sont les autres qui favorisent « le retour, en force, de cette honteuse maladie…» Mais chacun d’entre eux essaye de s’infiltrer dans les contradictions tribales, détournant à son profit le soutien des mécontents et autres dissidents de telle ou telle tribu. Ils prenaient ainsi leur part du fameux « … réseau de solidarités et de rivalités… »

Dans le livre-rapport « Le jardin du Soufi », narrant l’originalité des expériences des « Tlamid »Ould Adda de Boumdeïd et des forgerons de Gataga, un des auteurs nous révéle étonné : « le lien qui m’attachait à mes ancêtres était bien plus ténu ( dans le sens « mince » souligné par moi MSOH) que celui du plus modeste des forgerons soninké… » Ce constat devrait nous faire prendre conscience de notre fragilité de « développé ».

Et M. Lassale de conclure : «… sans racines profondes notre vie tendrait à n’être qu’une fuite vers un futur préoccupant. Pour nous répérer inconsciemment nous venons chercher des jalons rassurants chez czux qui avaient eu la sagesse de préserver leur passé… »

Et soulignons dans ce texte « futur préoccupant », « nous répérer », « jalons rassurants », et « préserver leur passé », pour attirer l’attention sur l’importance de l’équilibre à observer entre futur, présent et passé…Mais passons…

Le pouvoir politique dont il s’agit : est-ce le pouvoir traditionnel , spirituel, qui, hier, avait pour justification la soif de connaître et l’inquiétude métaphysique attirées par la pièté que renforcerait le savoir , et qui, tous les deux, ne sont plus aujourd’hui que la caricature de leur passé ? En vérité, cette audience et moi-même savons que le « pouvoir politique » dont il s’agit ne peut

Le pouvoir traditionnel devenu à nos yeux une simple pièce de musée.

Nous avons en ce domaine, comme en bien d’autres, mis, ingénument, -ce qui, soit en passant, n’est ni une appréciation positive, un compliment, une attestation de conscience ou de maturité- nos pieds dans les souliers de la colonisation, déjà usées depuis des lustres. Nous ne considérons comme pouvoir que l’Etat centralisateur, ressemblants en tous points à l’etat jacobin à la française héritée par nous avec tant d’autres…

Cet état centralisateur à souhait, c’est-à-dire celui des fonctionnaires avec leur importance, leur insensibilité, leur égoïsme et leurs autres tares est, aujourd’hui, synonyme abusivement du pouvoir politique est, désormais, sacralisé. Il est surtout une réalité artificielle et maléfique…

Mais partons de « pouvoir politique » et examinons-le par rapport au « facteur tribal », j’allais même user d’un terme péjoratif : « facteur indigène » ; mais qui encore a affirmé : « …tous les hommes qui, dans l’histoire ont eu une action réelle sur l’avenir, avaient les yeux fixés sur le passé… »(G.K.Chesterton?) Pour préparer l’avenir à la lumière du passé, consultons ce passé…Retournons à l’histoire.

D’abord à Abu Zayd Abderahmane Ibn Khaldun fondateur réel de la sociologie ou philosophie sociale et auteur célèbre de son monumental «  histoire des berbères » (tarikh al barbar) dont, en général les gens ne considèrent que sa «moughadima » ou « Prolégomènes », son introduction.

Ibn Khaldun nous dit : « le véritable sujet de l’Histoire est de nous renseigner sur L’Etat social de l’Homme, c’est-à-dire »  El Umran Â» du monde et les phénomènes qui s’y rattachent naturellement. » Pour le penseur ces phénomènes sont : « la vie sauvage, l’adoucissement des mÅ“urs, l’esprit de la famille et de la Tribu… » Pour lui « l’esprit de la famille et de la tribu » est la fameuse« assabiye« .

Et pour lui également la tribu « El Ghabila » est le véritable élément qui enclenche les divergences de supériorités entre gens et « …poussent vers la naissance des empires et des dynasties » (Douwell) Pour le grand penseur l’Etat, « régulateur de la Tribu » ( dont il tempère plutôt l’anarchie naturelle) alors, qu’à l’origine il en est l’émanation est le produit de l’ »Assabiye« . Mais son « Etat » ne prospère normalement que sur le compte de ce principe (cas classique de matricide…)

Cette « Assabiye« , pour Ibn Khaldoun, c’est l’esprit de corps à base de parenté (de consanguinité parfois mais pas toujours…), l’esprit du clan, la solidarité tribale et, pout user d’un terme aujourd’hui de galvaudage : c’est le tribalisme, mais, sans doute pour toutes ses manifestations positives et négatives. D’ailleurs Ibn Khaldun il estime que l’Etat ne peut avoir de cohésion sans un apport tribal.

Dans cette acceptation, la tribu est plutôt « centripète » parce que ayant intérêt à la bonne marche de l’Etat, dont il veut, cependant, être le bénéficiaire privilégié, sinon l’unique…(Il est remarquable de ne constater aucune ride, quand on applique cette théorie à l’actualité tribale et ethnique dans le monde arabe et l’Afrique. Mais l’analyse peut tromper en laissant quelquefois l’impression que la tribu est même « démocratique », ou, corrigeons, anti-despotique, anti-absolutiste ( ce qui ne veut pas dire forcément la même chose) parce que cette « tribu » et son excroissance, « le tribalisme », sont dans leur essence opposés à tout pouvoir , autorité, absolu ou égalitaire…

Eclairant toujours le présent à l’expérience du passé, je citerai rapidement les trois (3) stades de la

Pyramide et/ ou organisation sociale théorisées par Ibn Khaldun :

Premier stade : la société est à l’état pur , celui de la « bédouinité« , c’est-à-dire le règne de l’égalitarisme opposé au pouvoir absolu, mais aussi à tout pouvoir centralisateur et organisateur du type « jacobin » à la française..

Deuxième stade : « Al Umran el hadari Â» (urbanisation) au sein duquel l’égalitarisme disparaît , laissant la place à la « Choura » qui est une forme de la concertation tribale.

Troisième stade : « Al Umran Al Badawi » (la rétribalisation) et le règne des forces centrifuges.

Ibn Khaldoun explique ainsi ce paradoxe : Ce retour à la brutalité, à la violence est secrété par la mollesse ou la déchéance des moeurs nées de la facilité. Il affirme que le luxe, lorsqu’il atteint un certain niveau, avilit les hommes et porte atteinte à la solidarité en opposant les uns aux autres en une âpre concurrence. «… cet état de dégradation indique que chez la tribu l’esprit de solidarité n’existe plus. Ne pouvant sortir de son « avilissement », elle n’a plus le courage de se défendre. ! »

J’attire votre attention sur « la jeunesse » du texte d’Ibn Khaldoun et de sa pensée. Il est comme parmi nous. Malgré le temps écoulé la société décrite est si proche de celles, présentement de notre espace maghrébo-sahélien. Et il est fort intéressant de comparer son approche avec celle de la Tribu d’aujourd’hui telel que perçue par Mme Sophie Caratini chez les R’gaybatt aujourd’hui.

J’attire aussi votre attention sur la nécessité de toujours préserver notre mémoire historique, sinon « s’engloutira notre passé et le souvenir des pères de nos pères… » suivant cette belle expression du romancier algérien Rachid Mimouni dans « l’honneur de la tribu ». Surtout sans mémoire du passé nous perdons tout « repère » du présent. Ce repère qui obsédait tant, rappelons-le, M. Laissalle, jalousant la caste de forgerons Soninké pour les siennes !!!

Après ce long et, à mon avis, utile détour retournons à notre sujet, en particulier ce pouvoir politique et ses protagonistes, pour leur « commerce » avec le fait tribal. Mais le pouvoir politique dans la Mauritanie actuelle qu’est ce à dire ?Ce pouvoir qui gère, se confond avec l’Etat , qui reste pour Nietzche « le plus froid des monstres froids ! » Et l’Etat, malgré toutes les apparences, est la caste des fonctionnaires ; c’est-à-dire une une oligarchie fermées et despotiques.

Et Alexis de Tocqueville nous dit sans ambages : « …Le despotisme administratif est le seul qu’aient à craindre les démocraties ! » L’autre pendant de l’Etat, la classe politique, même si elle se renouvelle d’une façon épisodique, à la faveur d’élections, demeure, comme la caste des fonctionnaires, formée essentiellement de « Zawaya « et de »Hasasne » , C-a-d les groupements qui monopolisent, sans partage ou presque, depuis toujours les pouvoirs spirituels ,et temporels traditionnels.

Un observateur averti de la société maure, « hassanophone » d’une grande érudition, le français Albert Leriche, notait, en 1955, dans le bulletin de l’IFAN( Institut Fondamental de l’Afrique noire) :

« …Il y’à deux catégories d’hommes à craindre ; les porteurs de fusils et les porteurs de chapelets. ..»

Aujourd’hui encore, ces « porteurs de fusils » et ces « porteurs de chapelets », les « samouraï » et les « mandarins » fournissent la quasi-totalité des dirigeants et cadres des partis politiques et des organisations de la société civile. En d’autres termes les sociétés traditionnelles en Mauritanie, toutes ethnies confondues continuent de fonctionner à l’ancienne avec une couverture au semblant moderne, mais, en vérité à peine améliorée : en prédateurs et en déprédateurs comme les rats et las sauterelles ces deux autres fléaux du pays.

Mais finissons-en avec l’auscultation de passé en rapportant ce témoignage du sociologue français qui a longtemps enseigné en Mauritanie et observé son évolution.

Dans son livre, M. François de Chassey écrit : « L’histoire montre avec évidence à la fois qu’aucune société nomade , les Maures pas plus que les autres, n’a pu se constituer en Etat, tant qu’elle était nomade et que avec son dynamisme et son esprit d’entreprise elle est souvent , comme dans le cas des Almoravides , à l’origine de grands édifices politiques réalisés ailleurs… »

Méditons cette opinion sur l’antinomie ou antipathie entre » nomade » et « Etat « et la capacité potentielle de l’ex-nomade d’accomplir de grandes choses ;

Mohamed Said Hamody


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