21-10-2012 13:57 - Mahjoub Ould Boyé : 'Mauritanie, racines et passerelles' (Préface).

Quel honneur, quelle chance et quel plaisir quand un ami de qualité vient vous demander de présenter un travail dont vous êtes convaincu tant pour son utilité, que ses opportunités politique et historique, que sa valeur d’écrit… ! Assurément l’ambassadeur et ancien ministre Mohamed Mahjoub Ould Boyé, parce qu’il s’agit de lui, est un personnage véritablement atypique.
Formé dans une des mahadrah les plus connues du pays pour les qualités de son cursus et de ses maîtres, il est allé, au gré des vents, diversifier, enrichir et moderniser son savoir en Egypte. Puis il se déplaça en France pou y préparer, à la prestigieuse Sorbonne, un DEA en une langue qu’il ne maîtrisera que bien plus tard.
Issu d’un milieu maraboutique et archi-conservateur, pour ne pas dire réactionnaire, il plonge, les années soixante dix, dans une contestation maoïste en remettant en cause valeurs du clan, de la caste et même, pour un temps, plus d’un enseignement et pratiques sacrés.
Auteur à cette époque, à titre académique, d’une thèse sur la résistance nationale, il nous a gratifié, en avril 2004, de son » ????? ?????? ? ????? ? ????? » (« Je me rappelle, souvenirs, sentiments et événements« ), un ouvrage en langue arabe de prés de quatre cents pages, que je suppose, et souhaite, être une première partie de ses mémoires. Malgré la maladie, les occupations professionnelles, ses préoccupations de mandarin, de notable et de père, il n’a donc, maa chaa Allah, jamais cessé de lire, d’archiver, d’écrire et d’imprimer !
Et sur sa lancée voici qu’il rassemble, aujourd’hui, une documentation qui sert d’ossature à ce livre -plaidoyer assez étrange.
D’abord ce matériel concerne la féroce et intolérante « biocide » culturelle, en1908, (un « Fahrenheit 45I » colonial avant le livre anglais et le film français) dont les français se sont rendus coupables à l’encontre du savoir traditionnel mando-arabo -musulman des soninkés du Guidimaka mauritanien ; un autodafé dont l’ampleur quand il a été connu, par hasard, sept décades après le crime, a servi de déclic à tous : aux descendants des victimes et à ceux, comme Mohamed Mahjoub moi-même et nos semblables, qui avions ignoré la richesse des patrimoines, spécifiques ou partagés, de nos « autres » compatriotes.
Mais laissons Mohamed Mahjoub avouer : « …Et ainsi j’ai découvert que nous ne connaissons que le minimum sur la lutte de nos pères et grands pères et de leur résistance à l’invasion étrangère, en particulier dans le domaine culturel et précisément la lute des habitants soninkés du Guidimaka… »
Toujours dans ce livre intitulé : » ????????? ???? ????? » que je m’empresse de traduire en « Mauritanie, racines et passerelles » (plutôt que ponts !) l’auteur, ébahi, a le courage de continuer ses confessions, ou son auto –critique, en reconnaissant : « … Et il était devenu clair, pour moi, que les étudiants poular et soninkés…que j’ai connus dans les mahadra et avec lesquels nous avons étudié n’étaient pas des cas isolés, mais étaient le produit de nations et civilisations africaines islamiques anciennes et importantes.»
Et le zawi (terme que je traduis par » marabout « , » mandarin « , » clerc » etc.) ne peut empêcher, avec tous ses talismans et gri-gri, le naturel de revenir au galop. Il élargit, (pour se faire pardonner?) le débat en formulant bien plus ardents souhaits : le renforcement de la solidarité entre ethnies, prélude au renforcement de l’unité nationale et à l’émergence d’une entité microsome de l’Afrique du Nord et de l’Afrique soudanaise dotée pourtant de sa personnalité et identités propres, mais métissée, réelle et consensuelle, et, sans doute, dédiée à rapprocher, à relier mêmes ces deux ensembles complémentaires.
Ainsi il exhorte franchement, dit-il « la jeunesse de Mauritanie… née de mère arabe ou poular ou soninké ou wolof à donner priorité totale, main dans la main, au renforcement de l’identité mauritanienne(commune)… chacun utilisant son prolongement (culturel et humain) septentrional ou méridional … » à cette fin.
La conclusion de son livre, dans laquelle sont puisées les citations précédentes, s’ouvre par ce vœux : « …J e souhaite avoir pu ajouter un nouveau pan au tissu culturel national mauritanien, en fournissant au lecteur des informations archivées en des pages de l’histoire du pays et, en particulier, de contrées que les gens ont voulu ignorer pour des raisons objectives et pour d’autres raisons qui le sont bien moins… »
Je termine cette préface en assurant mon ami et collègue Mohamed Mahjoub, que sa très positive contribution sera appréciée et dénotera, plutôt dénote déjà , combien notre différenciation ethnique n’est valable que pour la sociologie. Elle est source de la richesse qui naît de la diversité des apports. Et qui plus est, le tronc est commun, les valeurs spirituelles sont communes, comme le sont nos contes et légendes, nos dévotions et, peut être, même nos rêves endormis ou éveillés !
Je suis sûr qu’à la fin de votre longue carrière, vous saurez Ambassadeur Boyé, à l’Unesco, ce carrefour où s’enlacent croyances, cultures et civilisations que séparent pourtant espaces et barrières de toutes sortes, contribuer à faire prendre conscience aux quatre mémoires et identités nationales mauritaniennes d’une vérité : combien elles s’abreuvent aux mêmes sources, communient aux mêmes lieux, quand elles ne sont pas tout simplement jumelles…
» Mauritanie, sources et passerelles » en constitue déjà , assurément le socle de base, le premier pas, celui surtout qui compte!
Nouakchott le 10 chewal 1427 et le 1er novembre 2006.
Ambassadeur Mohamed – Saïd Ould Hamody, écrivain- journaliste.