17-09-2012 01:51 - Le malaise identitaire du monde musulman

Le malaise identitaire du monde musulman

Le monde arabo-musulman est toujours en guerre avec lui-même, avant de l'être avec l'Occident. Il a du mal à dépasser sa culture d'humiliation. Certes 2012 n'est pas 2005.

En 2005 la publication par un journal danois de caricatures de Mahomet était peut-être irresponsable -on ne joue pas avec des allumettes près d'un puits de pétrole -mais elle traduisait la volonté provocatrice d'affirmer à tout prix l'interdiction d'interdire au nom d'une lecture « absolutiste » des valeurs occidentales.

Tel n'est pas le cas en 2012 de la vidéo intitulée « L'Innocence des musulmans » qui est, elle, porteuse d'un véritable message de haine à l'égard de l'islam, et qui traduit des valeurs d'intolérance profondément étrangères à celles de l'Amérique et du monde occidental en général.

2005 pouvait être le produit de « bolchéviques de la démocratie », 2012 est l'expression d'un fondamentalisme religieux chrétien copte égyptien et évangéliste américain également détestable et qui fait le jeu en réalité de l'islamisme le plus radical, dont il se fait le détracteur.

Pour autant l'explosion de violence de 2012 se situe bien dans la continuité émotionnelle de celle de 2005 et révèle une triple fragilité qui n'a fait que s'accroître en sept ans en dépit ou à cause des révolutions en cours : fragilité d'une civilisation par rapport à elle-même, fragilité des équilibres politiques internes et régionaux, fragilité enfin de la relation entre le monde occidental et le monde arabo-musulman.

Il y a d'abord la fragilité identitaire d'un monde arabo-musulman, qui, en dépit ou à cause des processus révolutionnaires intervenus en son sein, est toujours dominé par une profonde culture d'humiliation par rapport à l'Occident. Dans tous les pays affectés par le processus révolutionnaire, la situation politique demeure confuse et l'état de l'économie très affaiblie.

L'identité religieuse est d'autant plus forte et susceptible des interprétations les plus radicales, qu'elle continue à servir de substitut à des identités nationales inquiètes. De la même manière, plus la connaissance de l'islam est tronquée sinon inexistante, plus l'intolérance est le fruit direct de l'ignorance.

A l'exception de la Libye où l'attaque contre le consulat américain semble avoir été le fait d'un véritable complot bien préparé, les émeutes qui sont intervenues dans au moins vingt autres pays, de la Tunisie à l'Egypte jusqu'à l'Indonésie, apparaissent avoir été spontanées comme en 2005.

Ce malaise identitaire musulman qui s'exprime contre le monde occidental, et son incarnation la plus visible, les Etats-Unis, fait bien sûr l'objet d'une exploitation politique qui reflète une deuxième fragilité, celle des nouveaux régimes arrivés au pouvoir avec le processus révolutionnaire.

Il est excessif d'affirmer, comme le font beaucoup de commentateurs et de politiques, que l'hiver islamiste a succédé au printemps arabe. Mais il serait naïf de ne pas voir l'utilisation immédiate que les forces les plus radicales au sein des partis islamistes, sinon les pays les plus radicaux comme l'Iran, ont fait de la diffusion sur Internet de la vidéo « L'Innocence des musulmans ».

En Egypte, le pays clef du monde arabe, tout comme en Tunisie, les salafistes en ont profité pour marquer leur territoire. Au Caire, la réaction initiale des autorités a été lente, embarrassée, sinon tout simplement inquiétante, même si le président Morsi s'est repris ce week-end en condamnant avec un peu plus de fermeté l'assassinat de l'ambassadeur des Etats-Unis en Libye.

Tout se passe en réalité comme si les changements révolutionnaires n'avaient pas encore été pleinement intégrés par les populations locales. Dans un pays qui avait été proaméricain pendant des décennies comme l'Egypte, l'antiaméricanisme demeure très fort. Dans un pays qui avait été par contre violemment antiaméricain comme la Libye, les sentiments à l'égard des Etats-Unis sont beaucoup plus positifs et le président Obama a salué le comportement courageux des nouveaux dirigeants de la Libye pendant la tragédie de Benghazi.

Sur un plan international, cette nouvelle explosion de violence nous rappelle la fragilité de la position américaine au Proche-Orient et, au-delà, la complexité des relations entre l'Occident et le monde islamique. Face à la complexité de cette région, il convient avant tout de garder son sang-froid et de ne pas tomber dans la provocation.

Comme vient de le rappeler Benoît XVI à Beyrouth, nous sommes en guerre contre « tous les fondamentalismes » et pas contre l'islam. Ce qui vient de se produire est, le plus probablement, un épiphénonème révélateur et non pas un tournant historique.

Dominique Moïsi
est conseiller spécial à l'Ifri
Écrit par Dominique MOÏSI
Chroniqueur - Conseiller du directeur de l'Ifri (Institut français pour les relations internationale



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Commentaires (1)

  • sahelien (H) 17/09/2012 11:25 X

    Belle analyse qui meriterait une grande correction: la crise identitaire en question n'est pas "musulmane". Elle est presqu'exclusivement Arabe. Il y a des millions de musulans Africains, Asiatiques et autres qui ne se sentent pas concernes pas ces comportements extremistes.

    C'est aux arabes de se regarder dans le mirroir et de trouver un moyen d'extirper ces vues et visions extremistes dont ils nourrissent leurs enfants depuis des generations.

    Et il est juste dommage que desormais certains africains abandonnent leur culture pour s'approprier des normes culturelles arabes. Mais les Africains et Asiatiques musulmans n'ont pas de crise identitaire (pour le moment) et ils ne vont certainement pas aller se faire tuer pour protester contre un obscure film-maison vu pas quelques centaines de gens.