30-07-2012 07:58 - El Medh. : Le Gospel Maure.

En ces jours de Ramadan, la route Aziz est devenue le rendez-vous de tous les passionnés des étendus vastes et des dunes aux crêtes argentées. Des dizaines de familles, des solitaires, viennent en ces jours de jeune se rafraîchir dans ce no man’s land où s’entrecroisent des discussion animées, des jeux de football ou de langoureux chants liturgiques des Medahas.
Le Gospel maure si bien savoureux dans ce vaste aire géographique du "Trab El Bidhan" ou terres des Maures (15) trouve son expression la plus empirique. Ce qui ajoute à l’extrême diversité raciale, une remarquable homogénéité culturelle, linguistique et d’organisation sociale, "EL MEDH" se distingue par les caractéristiques suivantes :les stances chantées sont en arabe parlé mauritanien (hassaniya) ; le récital est exécuté en choeur, rarement par un chanteur en solo :
C’est un genre quasi-liturgique et est même considéré comme éminemment sacré, quoique il se déroule en des lieux profanes. La mosquée, en principe, ne peut servir qu’aux prières régulières ou en rogations.
Le récital est le plus souvent donné le Jeudi soir, " nuit du Vendredi ", ou les veilles des fêtes religieuses, en particulier en commémoration de "El ID El Maouloud" (naissance) ou"Esm" (baptême) du prophète. Il peut indistinctement être donné par une troupe permanente organisée ou par un groupe improvisé, tant les " Chors " (airs) du "Medh" sont très largement connus de tout le monde. Le récital du "Medh" est une appropriation quasi-exclusive des maures (arabes) noirs, ("Haratines" et assimilés)
Cependant les griots intègrent quelquefois dans leurs concerts profanes, un ou deux airs, et plus, en hommage au prophète. C’est le plus souvent pour se disculper des accusations "d’impiété " ou de "corrupteurs d’âmes..."
Outre la glorification d’Allah ou le panégyrique du Prophète (PSL.), sujet inimitable, inlassablement loué, vanté, chéri, certains personnages proches de Mohamed (PSL.) et certains événements marquants de son épopée (17) se rencontrent, ici et là en un instant fulgurant, au cours des récitals du "Medh". En particulier : ses 4 premiers califes ou successeurs) : Aboubekr, Omar, Ethmane et Ali ; sa famille : Amina (sa mère), Khadija (sa 1ère épouse), Fatima (sa fille) , Hassen et Hussein, fils d’ Ali et de Fatima (18/), Halima (sa nourrice) etc., ses fameux compagnons : Talha et Zoubeir (19), Hamza, Al Abass (20), Zeid ben Al Hareth, Bilal ben Rabah Al Habachi (l’ethiopien), Salman Al Farissi (le Persan), Souheil Al Roumi (le Grec), Meissara (21) la famille Yasser etc. -ses adversaires : Aboulahab, AbouJehl, Omaya etc. ses victoires mémorables de l’Aube de l’Islam : Badr, Khaybar, Al Khandagh ou la dernière : Al Fath etc. (23)
Si le récital du "Medh" est une expression musicale de ferveur musulmane colorée et une indéniable empreinte culturelle maure, il s’inscrit aussi, parfaitement, dans l’universel !.Il est, par exemple, très proche des chants liturgiques et danses mystiques inspirées par d’autres théismes et sous toutes les latitudes du globe. Il est particulièrement comparable aux chants religieux de l’Evangile et du " Gospel " des noirs américains : c’est une musique qui exprime, en même temps que la glorification du créateur et les louanges des vertus de son messager, la compassion pour l’opprimé et la complainte de l’exilé, du déraciné.
C’est une musique dont la mémoire renferme vivants les stigmates de l’asservissement ; l’improvisation accompagne toujours les compositions élaborées ; les instruments de musique usités (flûte, tam-tam etc.) sont ceux des esclaves et des descendants d’esclaves (24) ;
Qui n’a pas vécu le prélude d’un récital de "Medh", son gonflement continu, en un formidable murmure progressif, et l’explosion finale de son rythme n’aura pas vécu une expérience admirable, unique, envoûtante…
L’exaltation du mysticisme, la dispute à la nostalgie des origines. En effet, personne, vraiment personne : ténors, choeurs, applaudisseurs, instrumentalistes, auditoire averti ou simples spectateurs, n’échappe à l’oppressante et troublante atmosphère d’une séance authentique de "Medh".
La parfaite harmonie des voix, des percussions, des claquements magiques des mains et d’autres sons magnifiés par le rythme montant en crescendo et l’ivresse des danseurs créent progressivement un univers suavement irréel, féerique. Alors, plus puissamment encore, le chœur, se saoulant littéralement de ses propres litanies scandées inlassablement, les joueurs d’instruments de musique rivalisant les improvisations, les danseurs en transes leurs habits noyés de sueur et les yeux hagards, provoquent une exaltation mystique proche de la plus sublime des félicités. Dès lors, pour l’assistance tétanisée, siècles passés et temps actuels se mêlent et se confondent : Hauts lieux de l’Islam en Orient et dunes, monticules ou Regs (25) du Trab El Bidhan saharien ne font plus qu’un...Et avec les dernières mélodies et l’agonie des claquements de mains naît une transcendance qui abolit pour un long moment toute notion de temps, d’espace ou d’ego. C’est l’apothéose, puis le profond silence !
Mohamed Abdellahi Dahhy (avec Mohamed Said Homody).